Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Alain planés
œuvres de Debussy, Haydn, Janáček et Messiaen

Serres d'Auteuil, Paris
- 29 juin 2008

Le rendez-vous de chaque année avec Les solistes aux serres d’Auteuil s’ouvre pour nous par ce récital d’Alain Planès. Selon la formule consacrée, l’on y retrouve ses classiques mis en regard par la musique de notre temps – une formule pertinente qui rappelle que ce qui est encore proche de nos oreilles fait découvrir plus précisément ce qui lui est éloigné, et non l’inverse, comme il est trop souvent entendu, si l’on peut dire.

C’est dans une sonorité un rien mouillée que Planès engage l’Allegro de la Sonate en mi bémol majeur Hob XVI/49 de Haydn, articulé d’un phrasé équilibré, sans surlignage. Sous ses doigts, les motifs ornementaux prennent un tour presque félin, coulé dans l’acoustique « aquatique » du Pavillon aux Azalées. L’Adagio perd cette humidité en faveur d’une tendresse plus masquée, bientôt contrariée par la rupture quasi schubertienne du mouvement, dans un halo plus ferme. Le Finale se fait alors gentiment cascadeur, contrastant l’idée plus que le style, au fond.

Ayant initialement annoncé le Klavierstück VI de Stockhausen, c’est finalement Messiaen que le pianiste a décidé de jouer : un Messiaen, tout jeune, encore debussyste, comme en témoignent les titres de ses huit Préludes, quoiqu’indiqués en amont, « à l’ancienne », et non en méditation postérieure de chaque texte, comme le fit l’aîné. Dans un jardin, deux d’entre eux (trois, Reflet dans le vent s’y prêtant volontiers) s’imposent naturellement : La colombe et Les sons impalpables du rêve. Respecter scrupuleusement l’indication que précise un compositeur réclame souvent imagination et inventivité ; après le rond appel initial, le pianiste réalise tout en douceur la sonorité très enveloppée que Messiaen demande à son premier prélude, sans négliger une articulation lyrique de la phrase principale, laissant judicieusement entrevoir certaines pages d’orchestre recueillies, largement plus tardives. L’impalpable du cinquième, tout en déambulant dans la régularité stricte de son motif obstiné, s’accomplit dans la souplesse – ou plus justement ne s’y accomplit pas, précisément ! Le ralenti des accords jubilatoires se feutre dans l’étrange onirique central, pudiquement voilé (il s’agit bien des sons du rêve et non de ses événements).

De longue expérience Alain Planès côtoie les taillisde Janáček qu’il a gravé au disque et qu’il donne ici et là avec une inspiration toujours renouvelée où l’on croise des parfums debussystes également familiers. Poésie, sensualité et spiritualité se rejoignent dans le parcours créatif des trois compositeurs (Debussy, Janáček, Messiaen) en une même assourdissante discrétion, toute délicatesse. Aussi subtile soit-elle, l’interprétation de Sur un sentier broussailleux semble plutôt nerveuse, approfondissant un registre angoissé qui s’assombrit au fil des dix pièces qui le jalonnent, jusqu’à rencontrer une lourdeur assez inattendue. Il y a près d’un an, comme une rumeur aux représentations de l’ultime opéra de Janáček [lire notre chronique du 16 juillet 2007], l’artiste faisait entendre tout le piano du compositeur à Aix-en-Provence [lire notre chronique du 17 juillet 2007] : dans la proximité si tragique du huis-clos dostoïevskien, la poésie de l’œuvre libérait une respiration, certes non sereine, mais diversifiée dans ses affects. Aujourd’hui, dans le calme anodin des Serres, c’est tout l’inverse. S’il n’en était ainsi, aimerions-nous la musique...

Deux bis saluent l’accueil du public, l’un emprunté à un Janáček plus lisztien, l’autre à Debussy dont Planès donnera bientôt une intégrale de l’œuvre pianistique à la Cité de la musique : un inédit retrouvé récemment, conçu pour la musique de scène du Roi Lear et dont on peut dire qu’il s’agit de la création !

BB