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Chroniques
récital Alexander Paley
œuvres de Balakirev, Glazounov, Medtner et Scriabine
Né à Chișinău, capitale d’une Moldavie sise entre Ukraine et Roumanie, Alexander Paley (né en 1956) commence l’étude du piano à six ans avant d’intégrer le conservatoire de Moscou à l’adolescence. Ses professeures y sont Bella Davidovitch et Vera Gornostaïeva – la première a étudié avec Constantin Igoumnov, la seconde avec Heinrich Neuhaus. Sur la lancée d’un premier concours remporté à l’âge de seize ans, le pianiste gagne des prix importants à travers le monde (Leipzig, New York, Vries, etc.). S’il est très actif aux États-Unis, Paley n’en oublie pas la musique de l’Est comme en témoigne ses enregistrements (Tchaïkovski, Prokofiev, Rubinstein, etc.) et le récital du jour, abordé sans partition.
Celui-ci débute avec le benjamin du programme, Nikolaï Medtner (1880-1951), compositeur et concertiste d’ascendance germano-balte qui étudie à Moscou avec Arenski et Taneïev. Parmi ses quatorze sonates pour piano, on compte la Sonate en la mineur Op.38 n°1 « Réminiscence » (1918) écrite pour introduire le cycle Mélodies oubliées, quelques années avant l’exil européen (1921). Hostile à Bartók, Schönberg et Stravinsky, Medtner s’y montre un nostalgique résolu (tonalité, harmonie, contrepoint) et Paley gardien d’une délicatesse contenue qui enfle jusqu’à la cassure brutale au centre de la pièce, lequel abrite un épisode plus tourmenté. Au final, cette simplicité, cette évidence du jeu est d’abord saluée par un silence ému du public, comme peu entendu dans une salle depuis bien longtemps.
Place ensuite à l’aîné : Mili Balakirev (1837-1910), pilier despotique du Groupe des Cinq qui rassemble musiciens autodidactes et romantiques dans la lignée de Glinka [lire notre critique du CD Rouslan et Lioudmila et La vie pour le tsar]. Entamée sur les pas de sa Grande sonate Op.3 (1855), la Sonate en si bémol mineur Op.5 n°1 (1856) s’ouvre et se ferme par un Andante. Sublimé par la clarté d’un interprète nuancé, le premier offre une alternance d’allégresse et de douceur tandis que le second s’avère d’une sérénité méditative, un rien nocturne. La brève Mazurka médiane semble d’autant plus entrainante qu’elle est bridée, jouée au cordeau – ose-t-on y relever une inspiration pour Petrouchka (1911) ?
Élève privé de Rimski-Korsakov et directeur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg durant près d’un quart de siècle, Alexandre Glazounov (1865-1936) « allie l’érudition musicale et le talent technique […] à un conservatisme figé et inexpugnable » – comme l’affirme André Lischke dans son Histoire de la musique russe [lire notre critique de l’ouvrage]. Les trois quarts d’une œuvre surtout symphonique virent le jour avant 1905, dont la Sonate en si bémol mineur Op.74 n°1 (1901). D’emblée tourmentée, l’Allegro moderato nécessite une virtuosité quasi constante. Alexander Paley enchaîne vite l’Andante dont la tendresse surprend d’autant plus. Ponctué de quelques passages de caractère, ce mouvement annonce un final Allegro scherzando échevelé, exalté voire hystérique, qui provoque un délire enthousiaste.
Si l’on excepte les deux bis offerts aux mélomanes (Valse caprice et Mélodie de Rubinstein), le récital s’achève avec Alexandre Scriabine (1872-1915) dont le travail, de son temps, fut diversement apprécié – « chant de la lune qui descend » (dixit le symboliste Konstantin Balmont, que Prokofiev mis en musique dans Cinq mélodies Op.23) ou « pourriture » (pour Anton Arenski, son ancien professeur qui, pour sa part, eut bien du mal à forger un style personnel). Sans doute inspirée par le paysage côtier italien, la Sonate en sol dièse mineur Op.19 n°2 « Sonate-fantaisie » (1897) préfigure sa dixième et toute dernière (1913), hommage mystique à la Nature. On y apprécie le mélange de douceur païenne et de recueillement (Andante), une mélancolie parfois secouée par une frappe plus musclée (Presto final).
LB