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Chroniques
récital Alexandre Tharaud
une grande arche italienne signée Bach
Il en va de ce concert comme de certaines cathédrales baroques : aux regards obliques, se perdant depuis les absides dans une multiplicité de points de vue, imago d'un monde traversé d'une essentielle diversité, répond la vision qui, depuis le portail, révèle l'unité d'un plan d'ensemble convergeant sur les illuminations dorées de l'autel, à la croisée de la nef et du transept.
Sept moments du concert – objets d'un enregistrement effectué par Alexandre Tharaud pour Harmonia Mundi, goûtés il y a quelques mois à l’Orangerie de Sceaux [lire notre chronique du 11 juillet 2004] – donnent à entendre comment peut s'appréhender l'appropriation par Johann Sebastian Bach de cette nouvelle façon musicale qu'est le concerto, soit le sens du travail de transcription qui l'amène au Concerto italien en fa majeur BWV 971, à Weimar au début du XVIIe siècle. L'après-midi s'articule autour du couple formé de cette partition et de l'Aria en ut mineur BWV 590 à laquelle il s'enchaîne sans transition, ici seules œuvres originales de Bach. Les autres pièces – deux concerti d'aprèsVivaldi (en sol mineur BWV 975 et en sol majeur BWV 973), et deux autres d'après Marcello (en ré mineur BWV 974 et en ut mineur BWV 981), toutes des transcriptions – les flanquent de façon symétrique, la Sicilienne en ré mineur (extraite du Concerto pour orgue BWV 596, d'après Vivaldi et transcrite par Tharaud lui-même) faisant office de porte d'entrée et de sortie de ce grand ensemble. À la demande de l'artiste, l'unité en est renforcée, par l'absence d'applaudissement entre les œuvres.
Cette grande sensibilité formelle est soutenue par une rare intelligence de jeu. Le mariage entre l'esprit concertant dévolu à l'orchestre et les pièces pour clavier composées par Bach se voit servi par un piano qui tour à tour prend les couleurs acides du clavecin ou plus rondes de l'orgue (splendeur veloutée de la Sicilienne), ou encore (en particulier dans le Concerto en sol majeur d'après Vivaldi) cette dynamique âpreté d'un registre de cordes tel qu'on le connaît, par exemple, à l'Europa Galante de Fabio Biondi. Si l'on note quelques imprécisions ici et là, notamment sur certains trilles, ou la trop lancinante reproduction d'un phrasé au cours d'une marche d'harmonie, le fort beau travail qu’offre l'artiste convainc totalement. Les mouvements rapides sont résolus sans affèterie, aussi percussifs parfois que peut l'être le clavecin (premier mouvement du Concerto italien) ; les lents se montrent d'une musicalité sans faille, l'utilisation toujours juste de la pédale y façonnant un son à la mesure d'une intention musicale qui accorde plus d'importance à la phrase qu'au chant. Très appréciablement, enfin, Alexandre Tharaud réussit à maîtriser admirablement tous les registres du Steinway, de la profondeur des graves à la clarté pour une fois jamais aigre (ou peu s'en faut) des aigus. Le tout, au service d'une réelle expressivité baroque, nous vaut un moment d'une prenante intensité, conclu par quatre bis fort bienvenus, révélant plus encore l'étonnante palette musicale de ce pianiste.
MD