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Chroniques
récital Anaïs Gaudemard et Julien Beaudiment
Bartók, Debussy, Fauré, Ibert, Piazzolla et Smetana
Conjuguer l'excellence et la jeunesse, l'ivresse des sons et celle des grains, telle est la devise des Estivales de musique en Médoc, de son président Jacques Hubert et de son directeur artistique Hervé N'Kaoua, depuis quinze ans d'itinérance avisée dans les vignobles au bord de l'estuaire. Par-delà les palmarès de concours internationaux, ce sont des personnalités prometteuses et des programmes originaux que le festival girondin s'attache à faire découvrir, distillant une alchimie pertinente entre appétits artistiques et contraintes techniques et budgétaires. Ainsi en est-il d'Anaïs Gaudemard, harpiste née à Marseille en 1991, qui reçut en 2016 le deuxième prix du concours ARD de Munich [lire notre chronique du 17 novembre 2016]. Aux côtés de Julien Beaudiment, flûtiste déjà invité par les Estivales médocaines il y a une douzaine d'années, elle propose un voyage musical éclectique, de Bartók à Piazzolla, en passant par le répertoire français – avec, naturellement, nombre de transcriptions, choisies avec le soin du vigneron.
La soirée au Château Branaire-Ducru s'ouvre par les Quinze chants paysans hongrois de Bartók, adaptés pour harpe et flûte par Fabrice Pierre à partir de l'arrangement pour voix et piano du compositeur. Le recueil met en avant la volubilité de la flûte, sur laquelle la harpe tresse un canevas à la manière de l'aède, sans se reléguer nécessairement au second plan. Si la vocalité mélodique – et acrobatique – est généralement assumée par la traversière, sa partenaire n'est pas en reste pour restituer le pittoresque rythmique et harmonique des vignettes musicales. En substitution de l'Adagietto de la Cinquième de Mahler initialement inscrit au menu, le duo a préféré céder au tropisme français qui nourrit la soirée – et sied presque instinctivement à son effectif. L'Impromptu Op.86 n°6 de Fauré, conçu pour la harpe en 1904 avant d'être traduit au piano neuf ans plus tard, respire, sous les doigts d'Anaïs Gaudemard, avec une fluidité inspirée. Le discours, élégant et gorgé de douce intériorité se déploie dans une souplesse agile à laquelle répond Syrinx de Debussy, joué en marge du plateau, comme une mélopée en coulisses. Troisième solo de la première partie, l'incontournable Vltava (transcrite à la harpe), du cycle Má Vlast de Smetana, s'appuie sur les arpèges reconnaissables de la flûte dans l'original orchestral pour déployer un flux bucolique et évocateur délicatement irisé dans lequel s'immerge çà ou là la mémoire au gré d'un inaltérable, ondoyant et pastoral voyage. Avant la pause, les deux musiciens se retrouvent pour un Entr'acte d'Ibert qui tombe à point, doué d'une virtuosité à – littéralement – couper le souffle, relayée par les cordes pincées.
Entièrement assumé par le duo, le second set laisse d'abord la parole à Fauré. Tirée de laSuite Dolly Op.16, la Berceuse augurale est conduite avec raffinement, en un balancement suave et caractéristique. La harpe initie la pulsation de la mélodie Après un rêve, extraite de l'Op.7, sur laquelle la flûte tisse son chant captivant. Seule pièce de la seconde partie nativement imaginée pour l'effectif de la soirée, la Sicilienne de la musique de scène Pelléas et Mélisande Op.78 chatoie de sa mélancolie innée et expectative. Beau soir et En bateau sont deux pièces de jeunesse de Debussy : la première, une chanson écrite à l'adolescence, et la seconde, un numéro de la Petite suite pour piano à quatre mains. Les deux pages confirment la complicité des interprètes, calibrant avec justesse l'expressivité. Le récital se referme sur les trois premiers épisodes de L'Histoire du tango de Piazzolla, le dernier n'étant pas adapté à l'idiosyncrasie technique du duo flûte-harpe. De Bordel 1900 à Night Club 1960, en passant par Café 1930 se déplie un condensé kaléidoscopique du tango, entre vitalité et épanchements plus élégiaques, sans verser dans la facilité sentimentale. Nos deux musiciens s'y entendent avec un instinct évident.
GC