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Chroniques
récital Anastasia Kobekina et Luka Okros
Enescu, Kantcheli, Karłowicz, Schubert et Weinberg
Après le concert symphonique avec l’ERSO (Orchestre Symphonique National Estonien) dans la grande salle de la Philharmonie de Varsovie [lire notre chronique de la veille], c’est dans le second auditorium, dédié à la musique de chambre (à l’étage inférieur du bâtiment), que les festivaliers d’Eufonie ont rendez-vous le lendemain pour un récital violoncelle et piano, avec la Russe Anastasia Kobekina, accompagnée au clavier par Luka Okros.
La soirée, aux dimensions inévitablement plus intimistes, traverse presque deux siècles de Romantisme, depuis Vienne jusqu’aux confins du Caucase. Elle s’ouvre avec un Européen de l’Est qui a passé une large partie de sa vie à Paris – où il est d’ailleurs décédé. Partition de jeunesse de George Enescu éditée de manière posthume, la Sonate en fa mineur pour violoncelle et piano, écrite vers 1898, constitue une sorte de version primitive de la Sonate en fa mineur Op.26 n°1 qui se limite à un seul mouvement, noté Allegro. Si la facture témoigne d’une personnalité musicale encore en gestation, influencée par tout le Romantisme d’Europe centrale, elle n’en affirme pas moins une intensité défendue avec noblesse par les interprètes, et sert habilement de prélude à la Sonate en la mineur « Arpeggione » D821 de Schubert, où se distingue l’archet souple et racé d’Anastasia Kobekina. Le dialogue avec le piano révèle un équilibre dynamique dans l’Allegro moderato initial, avant de laisser s’épanouir l’intériorité d’un Adagio sans pesanteur inutile. La mélancolie y conserve une dose de retenue non dénuée de raffinement, tandis que l’élan du final, Allegretto, s’appuie sur un phrasé allant et chatoyant.
Après l’entracte, la Sérénade en sol majeur Op.2 de Mieczysław Karłowicz (1867-1909), compositeur polonais davantage connu pour ses poèmes symphoniques, prolonge cette idiosyncrasie avec une sensibilité délicate discrètement apparentée, par-delà l’écart de trois quarts de siècle entre les deux œuvres. On retrouve la même élégance passionnée que distille le duo complice. L’arrangement réalisé par le pianiste de la mélodie fervente Herio Bichebo que le Géorgien Guia Kantcheli avait composée pour le film Terre, voici ton fils, de son compatriote Revaz Tchkheidze (Tvoj syn, zemljan ; 1980), transpose la chair de la voix à celle, quasi prédestinée, du violoncelle sur un écrin extatique au clavier.
Le récital se referme sur la Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur Op.63 de Mieczysław Weinberg, commande de Rostropovitch en 1959. En trois parties – Moderato, Andante et Allegro –, la partition témoigne d’une proximité évidente avec la sensibilité parfois grinçante de Chostakovitch. Les deux interprètes n’en négligent pas la fièvre expressive. La séduction du son n’interdit pas l’agilité mordante du sentiment. Anastasia Kobekina en offre l’illustration.
GC