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Chroniques
récital Andreï Korobeinikov
œuvres de Beethoven, Bach-Busoni, Schubert
Avec autant de pudeur que d’aisance, Andreï Korobeinikov trace un chemin secret dans le riche paysage de l’antépénultième sonate de Ludwig van Beethoven, Op. 109 n°30. La fluidité de l’Adagio espressivo tout traversé d’arpèges vaporeux s’ouvre soudain à la sérénité d’un bienheureux récitatif, dans une synthèse toujours très travaillée des plans sonores. Dans une élégie aux fragrances de basson, l’ouverture de l’Andante molto cantabile ed espressivo se montre presque douloureuse de tendresse. La première variation prend alors des allures d’improvisation légère, tandis que l’art consommé des nuances colore la deuxième de délicieux perlés dans une réserve de son imposante. À l’orchestralité du n°3 succède une variation quatrième au phrasé régalien. L’éblouissante et joyeusement virile invention de la cinquième introduit aux incroyables trilles de l’ultime, dont le climat n’est pas sans rappeler certaine porte de Kiev moussorgskienne. Le son s’éteint dans un cantabile quasiment récitatif. Merveille.
Tenue rare est alors donnée à la Chaconne en ré mineur de Johann Sebastian Bach dans sa transcription par Ferruccio Busoni. Un son organique, sis dans un jeu de pédale discret, bâtit une entrée hiératique et âpre à ce moment-monument. Dans les piani, on entend les flûtes. Toujours orchestrale, la dynamique à la fois énorme et mesurée se montre d’une présence souvent terrible d’intensité. De soudaines harmoniques de guitare éclairent brusquement le souffle dans la violence d’une partition habitée d’un son incroyable de force qui, là encore, n’est pas sans rappeler ce qu’on peut devoir au Moussorgski des Tableaux ou aux carillons orthodoxes. Gravité brusque, enfin, de la monodie mezzo forte, installant un discret rubato – récitatif traversé d’arpèges à l’aigu et comme venus de si loin. Puis l’intensité finale – et quelle intensité ! – se résolvant dans le silence de la vibration qu’un ultime point d’orgue illumine. Immense.
Ô combien plus décevante notre réception de l’interprétation de la dernière sonate de Franz Schubert, cette D. 960 en si bémol majeur, attendue peut-être d’une oreille trop ancienne. Propositions nouvelles ou style se cherchant encore dans le sillage d’un ancrage beethovenien ? Nous ne savons, tant nous en déconcertent les deux premiers mouvements.
Les trilles graves, dramatique scansion du Molto moderato, sont systématiquement escamotés par une main qui peut-être les aurait voulus plus légers ou soudains : les marteaux manquent à la corde. Un son de macaron confit, des fortissimos de hussard ivre, une accentuation surexpressive et l’instabilité du rythme créent des remous désagréables à l’écoute, comme une volonté dissertante, voire didactique, dans un allant qui ne va pas, pas même dans ce nulle part à fleur d’hésitation qui fait le sel de la partition. Si quelques traits ne manquent pas de tenue, sur-romantisée la phrase se perd comme un fleuve mou aux marais geignards. On finit par ne plus comprendre rien à ce mouvement, les méandres du rubato éteignent le sens de tel crescendo et les dernières mesures se meurent.
Au second mouvement, le pianiste s’inscrit dans toute une (malheureuse) tradition interprétative qui fait de l’Andante sostenuto un adagio, voire un largo. C’est là moins histoire d’être fidèle à l’indication du compositeur que de saisir à quel point ne pas la suivre fait de la déploration intime que porte ce numéro une lamentation lourde et compassée à faire tousser le public. Le rubato excessif casse l’ostinato des octaves, et malgré, ici ou là, une fort belle qualité sonore, l’ensemble est poussif, surjoué, jusqu’au soporifique mouroir des dernières mesures.
Sur un rythme de diable saxon fermement tenu, le Scherzo offre de bienvenus beaux galets, dans un chant régulier. Les accents du trio, très marqués sur le velouté de la mélodie, sont des pointes sur-dramatiques dans le ton hyper-contrasté qui est manifestement la proposition portée par le pianiste – quelque chose de jazzé, peut-être. Attacca, le dernier mouvement ne manque pas de souffle, dans ses contrastes excessifs et le brouillon de son voile de notes jetées sur le clavier, bourrasque ou giboulée. Quelques propositions de phrasé nous retiennent, jusqu’au ritardando dans les dernières mesures. Néanmoins, perplexe.
Fort généreusement Andreï Korobeinikov livre alors dans une belle énergie pas moins de six bis, choisis notamment parmi quelques pages de Schubert (dont le troisième des Klavierstücke D946) et le Choral du Veilleur de Bach/Busoni. À suivre…
MD