Chroniques

par laurent bergnach

récital Anna Spina
Grisey, Roth, Sciarrino et Xu

Fondation Suisse / Cité Internationale Universitaire, Paris
- 6 février 2011
L’altiste Anna Spina
© dr

Depuis les années quatre-vingt dix, en formation chambriste ou en solo, la Bernoise Anna Spina se consacre à l’interprétation de la musique de son temps – spectrale, en particulier. Soutenue par la fondation Pro Helvetia, elle s’investit dans des projets interculturels, que ce soit en résidence au Caire où elle se forme auprès du violoniste Abou Dagher dans le cadre de recherches sur la microtonalité arabe, ou encore dans le programme sino-suisse Chine 2008-2010, en collaboration avec les compositrices Yi Xu et Katrin Frauchiger. C’est à la Chinoise et à son compatriote Michel Roth – qui rejoint par la suite le collectif renommé Trois femmes – Quatre sens – que l’altiste consacre la première partie de son récital parisien, avec deux pièces créées le 12 septembre dernier, au Festival de Lucerne.

Née à Nankin en 1963, Yi Xu commence très jeune l’étude du erhu (le violon chinois), avant d’aborder la composition à la fin de l’adolescence. À vingt-deux ans, elle devient professeur de conservatoire à Shanghai, puis séjourne de longues années en France. Elle y étudie avec Grisey et Malec, avant de devenir pensionnaire à la Villa Médicis. Après une période d’enseignement à Cergy-Pontoise, elle rejoint Pékin où elle vit à présent. Comme nous l’annonce Anna Spina avant de commencer, Qing (2008-09) dessine trois états d’esprit différents : sincérité et pureté, générosité et magnanimité, enfin distance et profondeur. Une alternance de souffle sifflé et de pizz’ gagne peu à peu en force et variété, avant de laisser place à une énergie bourdonnante, ondoyante. Un calme tendu nous ramène vers l’ambiance première, presque chantonnante. Un moment délicat, évoquant le frottement doux d’une éponge sèche, sert par deux fois de transition à cette belle pièce intimiste.

Après des études de musicologie, depuis dix ans maintenant Michel Roth (né en 1976) enseigne la théorie, l’histoire de la musique et la composition au Conservatoire de Lucerne où il dirige le département contemporain. Pièce de près d’un quart d’heure, Plaie et douceur (2010) s’inspire de l’écrivain-voyageur Nicolas Bouvier qui décrit une atmosphère nocturne à la frontière de la Mongolie et de la Chine. Ici, non seulement l’instrument, les cordes garnies d’une tige métallique, fait entendre des sons pleins, flûtés, raclés, et sifflants, mais l’interprète se doit de suivre quelques consignes gestuelles et vocales. Le passage « dormir / l’eau » n’est pas sans rappeler une variation aperghisienne.

Quelques années avant Ai limiti della note (1979), le Sicilien Salvatore Sciarrino (né en 1947) livrait Tre notturni brillanti (1974-75)… en réponse à une demande de pièces pour élève. Composée entre le 1er septembre 1974 et le 3 mars 1975, cette partition raffinée eut pour créateur Aldo Bennici, le 28 mars 1975, à Florence, avant de devenir un classique du répertoire d’un altiste d’aujourd’hui. Anna Spina la défend d’ailleurs souvent [lire notre chronique du 22 mars 2009], de même que Prologue (1976), signé Gérard Grisey, qui termine ce récital. Si le salon courbe du Pavillon Suisse, orné d’un mural de Le Corbusier, n’est pas un endroit assez isolé du monde pour goûter ces deux dernières œuvres, on se consolera en les sachant gravées tout récemment par l’artiste [NEOS 10920].

LB