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Chroniques
récital Anneleen Lenaerts
concours international de musique de chambre avec harpe
Le Concours international de musique de chambre avec harpe est une compétition unique en son genre qui a lieu tous les trois ans. Parmi plusieurs formations candidates qui, à partir du 27 octobre, jouèrent un programme d’une vingtaine de minutes, un jury [photo] présidé par l’altiste français Michel Michalakakos et constitué des harpistes Skaila Kanga (Angleterre), Ana Levina (Russie), Germaine Lorenzini (France) et Ghislaine Petit-Volta (France), du clarinettiste Fabio Furia (Italie) et du chef d’orchestre lituanien Donatas Katkus, a choisi six finalistes (dont cinq duos flûte et harpe, l’ensemble le plus représenté cette année) qui concourent octobre à travers un mini récital de quarante minutes avec obligation d’y intégrer une pièce romantique, une pièce de répertoire et une œuvre contemporaine.
Habituellement, c’est à midi que commencent les rendez-vous des Journées de la harpe. Mais aujourd’hui, nous nous rendons dès dix heures à la Chapelle Saint Martin du Méjan pour entendre l’épreuve finale. Les six équipes retenues jouent chacune un programme qui doit impérativement honorer les répertoires classique, romantique et contemporain. Indépendamment de l’intérêt en soi du concours, voilà qui saura satisfaire quiconque souhaiterait approfondir sa connaissance, notamment en ce qui concerne le duo flûte et harpe, majoritairement représenté dans cette sixième édition.
D’abord Ludwig Spohr, violoniste allemand (1784-1859) particulièrement prolixe, d’une inspiration romantique mais dont l’expression s’avère résolument classique – un fils légitime, bien que tardif, de l’esthétique Sturm und Drang, qui fut l’auteur d’un immense catalogue chambriste où l’on compte, entre autres, rien moins que dix quintettes et trente-quatre quatuors à cordes : ensuite Nicolas Chédeville (1705-1782) et Johann Sebastian Bach. Outre Casilda, la Fantaisie d’Antonio Zamara (1829-1901) et de l’Austro-ukrainien Franz Doppler (1821-1883), la période romantique est illustrée par Saint-Saëns et Weber. Enfin, l’on aborde la musique d’aujourd’hui à travers Stratus, composé en 1973 par Yoshihisa Taïra (1937-2005), Narthex de Bernard Andrès, Envols d’écailles d’Alain Louvier (né en 1945), Night time de Sebastian Currier, la Sonate pour flûte et harpe d’Harald Genzmer et le fort beau Toward the sea de Tōru Takemitsu (1930-1996). En fin d’après-midi, le jury – dont le président, affirme volontiers n’être « pas là pour juger mais pour estimer ceux qui, en jouant leur programme, font de la musique et non de la technique » – livrera son verdict.
À dix-neuf ans, la harpiste belge Anneleen Lenaerts, premier prix du Concours Lily Laskine (2005), se produit en l’Église Saint Césaire (18h). Si les premiers pas de la Suite française en si mineur BWV 814 de Bach (tr.) bénéficient d’une certaine clarté d’articulation, l’ensemble paraît gentiment propret, sans plus. On regrette également les nombreuses imprécisions harmoniques du premier mouvement de la transcription de la Sonate en ut majeur de Mozart ; en revanche, son exécution de la partie centrale renoue ingénieusement avec les caractères pianofortistes : la couleur et la souplesse de l’attaque. Plus intéressante encore se révèle son interprétation de la Ballade de Salzédo, par le relief, le phrasé et surtout l’esprit qui l’habite, contrastant enfin avec la sévérité conventionnelle des moments précédents. C’est la clé de voûte du concert, puisque son jeu ne transcende pas la pièce de piètre intérêt signée Karol Beffa – de la musique d’avant-hier écrite aujourd’hui –, que le Prélude Op.12 n°7 (tr.) de Prokofiev demeure terne et qu’Introduction et variations sur des airs de « Norma » de Bellini d’Elias Parish Alvars manque du panache lisztien qu’appelle cette paraphrase.
Enfin, la cérémonie de remise des prix du Concours international de Musique de chambre avec harpe a lieu mardi, en fin d’après-midi, dans la salle d’honneur de l’Hôtel de Ville. Le troisième prix est accordé à Charlotte Bletton (flûtiste, vingt-deux ans) et Doriane Goni-Cheminais (harpiste, vingt-et-un ans), le deuxième prix à Cécile Cottin (flûtiste, vingt-cinq ans) et Alice Soria (harpiste, vingt-trois ans). Pour le jury, l’équipe qui emporte le premier prix s’est détachée des autres candidats dès les éliminatoires. En revanche, pour le clarinettiste Fabio Furia « il n’y avait qu’une différence infime entre les deux autres prestations. Ce n’était pas si clair de devoir attribuer le deuxième prix plutôt à celles-ci qu’à celles-là ». Quant à elle, Ghislaine Petit-Volta précise que « ce sont principalement des questions de présence qui distinguent les candidats, car tous ont une technique remarquable. Les meilleurs ont en plus la sensibilité, l’expressivité et une certaine intelligence ». En entendant une nouvelle fois les lauréates dans la Fantaisie Op.124 de Saint-Saëns, dont elles livrent une interprétation généreusement lyrique, l’on saisit qu’avec une respiration commune et une évidente complicité elles racontent une histoire. « Ce n’est pas d’être étonné que l’on souhaite, mais touché », explique Germaine Lorenzini.
À l’unanimité du jury, la violoniste Anne-Cécile Brielles (vingt-cinq ans) et la harpiste Nathalie Cornevin (vingt-quatre ans) emportent donc le premier prix. Souvent, l’on construit son programme après avoir décidé de se présenter aux épreuves. Pour ces jeunes musiciennes, les choses se sont passées différemment. C’est après avoir joué ensemble lors d’une tournée dans plusieurs villages qu’elles imaginèrent de tenter l’aventure. Elles possédaient donc sainement leur menu qu’elles ont ensuite quelque peu modifié afin qu’il réponde aux exigences du règlement. « On avait joué des extrait de la pièce contemporaine – Night time de Sebastian Currier –, en public, lors de cette tournée. Les réactions furent sans demi-teinte ! », nous confient-elles. Elles arrivèrent plutôt sereines au concours : « on s’est dit qu’on donnerait ce qu’on pourrait, partant qu’il se présenterait certainement des gens meilleurs que nous et qu’on ne pourrait pas, de toute façon, contrôler ce que le jury penserait de notre jeu ».
Anne-Cécile Brilles commença l’étude du violon auprès de Rémy Landy au Mans ; elle l’approfondit avec Maryvonne Le Dizès à Boulogne, Marianne Piketty et Dominique Lonca à Lyon et, tout dernièrement, avec Rainer Schmidt, Anna Baget et Saiko Sasaki à l’Escuela Superior de Musica Reina Sofia de Madrid. Nathalie Cornevin aborda la harpe avec Annette Abscheidt et Virginie Tarrête à Châteauroux et fut ensuite l’élève de Frédérique Cambreling à Paris et de Fabrice Pierre à Lyon. À la belle phrase de Germaine Lorenzini, rapportée ci-avant, celle-ci pourrait peut-être répondre « si nous jouons par cœur, ce n’est pas pour épater le jury ou le public, mais simplement parce qu’il est plus pratique de s’exprimer en étant totalement libéré de la partition (sans souci de tourne, par exemple) ». Aujourd’hui, elles nourrissent le projet d’aller travailler au Mexique avec de jeunes instrumentistes qu’elles ont rencontrés dernièrement et qui envisagent de créer in loco un ensemble entièrement dévoué à la musique contemporaine, encore peu jouée en Amérique centrale où l’on n’en trouve quasiment pas les partitions.
BB