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Chroniques
récital Benjamin Bernheim, accompagné par David Zobel
Chausson, Gounod, Massenet, Pizzetti, Tchaïkovski et Verdi
Pour sa toute première apparition en Empordà, dans le cadre du Festival Castell Peralada, le jeune ténor français Benjamin Bernheim fait un choix ambitieux d’entrée en matière avec Poème de l’amour et de la mer Op.19 d’Ernest Chausson. Ainsi, par son puissant lamento surtout, et dans le climat charmant instauré par le pianiste David Zobel [lire notre chronique du 7 juin 2008], s’engouffre « l’odeur exquise des lilas » puis, à travers les vers langoureux que laissa Maurice Bouchor à la fin du XIXe siècle, telle « grande mer au grand soleil va toute s’embraser » – et le chanteur de rayonner de ses feux les plus ardents, en ce brillant ressac créé par Chausson. La grandeur symphonique de l’œuvre, d’ailleurs mieux connue en sa version orchestrale, passe toute par le piano, les accords semblant épouser les éblouissantes lames de ce premier poème du distique (La fleur des eaux). L’habile Bernheim se fait plus tendre et plus viril, mais aussi davantage fervent, jusqu’à l’interlude pianistique d’un romantisme superbe, aux jeux d’eau évoquant naturellement Debussy. Avec vaillance, sobriété et sans scories, le maître chanteur présente La mort de l’amour, second épisode enfermé dans l’enivrant élixir ménagé par le compositeur. Le cycle en trace des contours singuliers, difficilement descriptibles : plus salé, plus rond ou plus corsé ; puis sublime, liturgique et spirituel. La boucle se ferme entre style épuré, poésie élargie et vif effroi, en conclusion. Comme dans un éclair de lucidité, « notre amour est mort à jamais ».
Déposées momentanément les armes de la musique française, l’artiste n’est soudain rien moins qu’un noble écossais du Moyen Âge, de par le prodigieux basculement de Figli, o figli miei... ah, la paterna mano. Du seigneur Macduff, dans Macbet de Verdi, le chant déchiré s’enflamme de courage et de détresse. Les attaques sont très efficaces, le final juste, l’ovation résultante inoubliable. Benjamin Bernheim est bien une étoile montante des scènes lyriques [lire nos chroniques de Lady Macbeth de Mzensk, Œdipus Rex, Salome, Fierrabras et Otello]. L’amateur de grands écarts appréciera particulièrement par quel incroyable détour se produit le retour au calme, avec le merveilleux I pastori. Le poème de Gabriele d’Annunzio que mit en musique Ildebrando Pizzetti (1880-1968) [lire notre critique d’Assassinio nella cattedrale] est servi par une ligne impeccable, sur un ton encore jeune (comme l’auteur de ces vers écrits en 1903) et d’une belle force pacificatrice dans le délicat sillage du piano, bien qu’une ambiance lourde émane pourtant de ce voyage bref et poignant. Les musiciens expriment en effet la douleur d’une perte presque acceptée, sentiment sous-jacent du poète parti un été pour la campagne des Pouilles avec sa fidèle maîtresse, la grande comédienne Eleonora Duse. D’inspiration amoureuse, I pastori exprime peut-être le début de la fin : peu après sa publication, le couple mit un terme à une décennie de relations fortes, intimes et artistiques.
Après le passage russe de l’air de Lenski (Tchaïkovski, Eugène Onéguine), confession pathétique à souhait, les cœurs s’emballent définitivement pour les grands chocs du fatal triple saut depuis les hauteurs de l’opéra. Tout d’abord vient confirmation de sa splendide maîtrise vocale et dramatique du Faust de Gounod [lire notre chronique du 19 mars 2021] en éclairant le caractère de simple profession de foi de la fameuse cavatine Salut, demeure chaste et pure. Amoureux d’un rêve, d’une chance de gagner le paradis sur les ailes de Manon : le tout s’imagine si aisément grâce à Benjamin Bernheim, excellent dans En fermant les yeux, l’air du Chevalier des Grieux, à la hauteur du chef-d’œuvre du prolifique Massenet. Enfin, du génie de Gounod surgit un authentique Roméo. Dans Ah ! Lève-toi, soleil !, l’épreuve principale de solidité est remportée par le ténor, mais encore celle d’humanité tant le jouvenceau shakespearien nous ressemble. Le mot est fort – par méfiance probablement, au fond – pour confondre amour et passion ; faible, le cœur cède à l’œillade en clamant tout de go l’admiration faramineuse.
En symbiose amicale avec le public, deux bis prolongent le plaisir, par de jolis chemins de traverse. Quel pouvoir magnétique dans le répertoire allemand, tour à tour fiévreux et doux de Morgen de Richard Strauss ! Et pour ultime surprise, la chanson de Kleinzach (Offenbach, Les contes d’Hoffmann) nous emporte avec panache dans l’opéra fantastique, d’un coup de bec !
FC