Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Cédric Tiberghien

Les nouveaux solistes / Serres d'Auteuil, Paris
- 7 septembre 2003
Bertrand Bolognesi photographie le pianiste Cédric Tiberghien
© bertrand bolognesi

Il semble que le public se soit donné le mot...
Victime de son succès, le festival Les nouveaux solistes doit refuser l’accès au Pavillon des Azalées à un monde toujours croissant, les murs ne se pouvant déplacer. Parce qu’il serait trop triste d’en rester là, l’on fait ouvrir les fenêtres de la grande serre, invitant le surnombre à goûter, depuis le jardin et ses impressionnantes cucurbitacées géantes, un copieux moment de musique. L’ambiance s’en trouve différente de celle d’une fin d’après-midi pianistique en petit comité, forcément. Vitres ouvertes sur jardin bondé, salle comble où les chanceux de l’avant-dernière heure s’assoient à même le sol : de quoi dynamiser on ne peut plus, si besoin en est, un pianiste par lui-même énergique et enthousiaste, Cédric Tiberghien.

Souvenez-vous, vendredi soir, le Trio volontaire, comme notre titre l’a désigné [lire notre chronique], proposait un préambule à l’exécution d’une pièce de Wolfgang Rihm, donnant quelques clés pour orienter une appréhension active. Aujourd’hui, en quelques phrases efficaces Cédric Tiberghien présente chaque œuvre de son programme. Excellente idée, car si l’on a coutume d’apporter régulièrement quelques éléments d’analyse avant l’écoute d’une partition récente, il n’est rien de pédant à éclairer une musique plus ancienne qui n’en est pas moins complexe. Bien qu’il la considère « joueuse et pleine d’humour », la Sonate Opus 10 n°2 de Beethoven est donnée dans une tension parfois un peu raide, pour le premier mouvement. L’Allegretto est à peine distancé, dans une sonorité judicieusement claire et une lente articulation pouvant annoncer Schubert. Et si l’humour se nichait précisément dans les faux-airs de sérieux de ce passage ? La presque épilepsie du Finale nerveux et précis emporte les suffrages.

D’après des vieux cahiers... autrement dit la Sonate Op.28 n°3 de Prokofiev, est ensuite jouée de façon plutôt sèche, nerveuse. La dynamique générale risque parfois de se perdre dans la précision, fort appréciable cela dit, de détails qui finissent par se faire envahissants. Pour tout dire, il manque un peu d’espace, quelque chose de plus souple, de non exclusivement percussif ou rythmique. La fin gagne en ce sens, après des moments de tension extrême dont la radicalité fait mouche.

La souplesse, le calme, en un mot la respiration, Cédric Tiberghien la trouve dans Sortilèges de George Benjamin, pièce de jeunesse (1981) où l’on perçoit quelques-uns des procédés de son maître Olivier Messiaen – qui de l’élève avait dit à Claude Samuel qu’il était « doué comme devait l’être Mozart jeune ! ». Avec un premier mouvement en guise de prélude dont la fonction serait de planter le décor d’un conte effrayant à dire aux enfants (qui n’aiment que ce qui fait peur) dans le second, Sortilèges développe les effets les plus horrifiques du piano de Liszt et de Ravel, avant de s’apaiser dans une sorte de choral inquiet. La présente lecture s’avère joliment poétique, parfaitement conteuse, grâce à un vrai travail du son. Les Miniatures de Marco Stroppa inspireront-elles Cédric Tiberghien ? On le lui souhaite, on se le souhaite...

Après un réglage de l’instrument, le pianiste termine par les Moments musicaux D780 de Schubert. Dès les premières mesures, son jeu s’attacha à discrètement souligner le chant, sans jamais l’en rendre facile pour autant. La pudeur est de mise, quoiqu’il n’hésite pas à user de contrastes assez étonnants qu’un malentendu Biedermeier (une vague idée de paysages étriqués, de petites toiles souvent lourdement encadrées d’un or douteux, embourgeoisant la partition) a chassé des interprétations de cette musique. Vaste sujet : ces contrastes sont bel et bien écrits ! Mais en son temps le piano de Schubert n’avait rien des nôtres, objectera-t-on. Oui, et d’ailleurs, l’artiste d’aujourd’hui n’a pas tiré ces pièces vers Liszt... mais il n’a pas oublié non plus que Beethoven était l’aîné.

Remerciant un public chaleureux qui écouta cet opus avec recueillement, Cédric Tiberghien donne en bis la Ballade en la bémol majeur Op.47 n°3 de Chopin, y affirmant les qualités de coloriste exprimées dans Sortilèges, atouts qu’il développera délicatement dans La terrasse des audiences au clair de lune de Debussy, annonçant élégamment que la tombée de la nuit.

BB