Chroniques

par david verdier

récital Cecilia Bartoli
Diego Fasolis dirige le Kammerorchester Basel

Salle Pleyel, Paris
- 13 novembre 2012
photo d'Uli Weber pour Mission, l'album Steffani de Cecilia Bartoli
© uli weber | decca

Un murmure de désolation parcourt la salle… on vient d'annoncer que Cecilia Bartoli est souffrante mais tient à assurer son unique récital parisien de la saison. Surprise, quelques minutes plus tard, lorsqu'elle fait son entrée en scène, pas décidé et sourire des beaux jours. Le succès semble acquis d'avance et tout lui sera pardonné, de la petite forme annoncée aux clins d'œil promotionnels et le happy end qui n'a rien d'improvisé… Un bon public qui, on le devine, n'a pas boudé son plaisir à la parution du dernier disque de la diva, malgré une couverture de très mauvais goût et un titre énigmatique, Mission.

De quelle « mission » s'agit-il ?
Derrière ce mot se cache la figure quasi-inconnue d'Agostino Steffani (1654-1728) qui cumula des carrières aussi diverses que celles de compositeur, diplomate, ecclésiastique ou encore… espion. Ses activités le portèrent d'une capitale européenne à une autre, dessinant une cartographie itinérante à l'image de la réalité socio-politique de son temps. De Rome à Munich ou de Venise à Paris, l'homme se familiarise avec la création artistique et musicale au point de devenir très en vogue dans les cours et les palais qui l'accueillent. Sur l'échiquier politique, il défend les positions papistes, sans pour autant renoncer à faire jouer sa musique dans l'Europe du nord, tant en ce qui concerne ses compositions d'église que ses nombreux opéras d'après des thèmes antiques.

La tentation est grande, comme à chaque redécouverte, de céder aux trompettes du marketing et d’accorder à cette musique des qualités partagées avec d'autres partitions de la même époque. Il faut vite se rendre à l'évidence et rendre à Bartoli ce qui ne revient qu'à elle seule – et qui est déjà beaucoup. Cette musique porte en elle des accents intimistes évidents, à mi-distance entre un sentiment pudique façon Cavalli combiné à la dimension épique d'un Monteverdi. Pourtant, sans démériter ni sombrer dans l'anecdotique, Steffani ne parvient jamais à sublimer l'écoute et la soumettre au delà d'un intérêt somme toute assez documentaire. En déplaçant l'enjeu dans le registre de la découverte (de qualité), Bartoli fait oublier qu'un tel répertoire est beaucoup moins « exposé » que d'autres références bien connues du public.

L'inquiétude ne vient pas de la voix, comme on pouvait s'y attendre, mais de l'orchestre – piètre Kammerorchester Basel plein de couacs et de routine, dirigé du clavecin par un Diego Fasolis passablement agité et jouant debout comme le pianiste de la chanson… Dès l'Ouverture d’Enrico Leone, les dés sont jetés, la trompette incapable d'aligner proprement une phrase et des cordes acides aux unissons contondants. Bartoli disperse ces nuages avec l'air de bravoure d'Alaric dans Alarico il Baltha, trois minutes de vocalises dans lesquelles la voix nous transporte sur toute l'étendue des registres. La projection y est, certes, prudente (assez mate sur Dispogliate l'alta Roma) comme souvent en début de récital. Sposa, mancar mi sento de Tassilone renoue avec la beauté des sonorités lentes et graves, tout comme Amami, e vederai, mélopée subtilement soutenue au luth. L'air du sommeil de Sabine (toujours dans Alarico il Baltha) est l'occasion de glisser quelques clins d'œil de théâtre dans la façon de jouer la fuite dans les rêves.

Moins intéressant, cet air d'Alcibiade (Notte, amica al cieco dio) où s'ébrouent appeaux et tambourins dans une interminable ritournelle pastorale qui finit par tourner à vide. On termine cette première partie avec les éclairs et les nuées de carton-pâte (A facile vittoria)

La seconde partie est plus homogène. Certains airs, comme ceux d'Aspasie et Alexandre, sont enchainés et gagnent en cohérence. On retrouve ces mélismes noirs (Moriro fra strazi e scempi ou Ove son ? Chi m'aita ?) dans lesquels le mezzo-soprano donne son meilleur, sans chercher à surdimensionner la voix, contrairement à des passages où la vocalise est sur le fil du rasoir et fait craindre qu'elle ne retombe à côté de la note (Dal tuo labbro amor m'invita). Dans l'air d'Anfione (Dell'alma stanca a raddolcir le tempre), le ressassement infini qui envahit la partition est ponctué d'une soporifique clochette sans grand intérêt. Suoni, suoni, le dernier air d'Erta dans Arminio est admirable de galbe et d'élan, si l'on excepte la calamiteuse trompette naturelle.

Les bis opèrent un retour plus prudent vers le Händel des valeurs sûres (Lascia la spina ou Desterò dall'empia Dite) avant que marketing ne repointe le bout de son nez, en l'occurrence avec l'arrivée « improvisée » de Philippe Jaroussky sur scène – toujours pour Steffani et le duo Serena, o mio bel sole de Niobe, regina di Tebe. Acclamations bruyantes du public et geste explicite du chef montrant à tout le monde la pochette du disque Decca. Est-ce assez clair ?

DV