Chroniques

par marc develey

récital Christian Zacharias

Théâtre de la Ville, Paris
- 13 novembre 2004
Patrick Martin photographie le pianiste Christian Zacharias
© patrick martin

C’est un piano sans excès qu’offre Christian Zacharias, dans un récital tout entier consacré à Chopin et Liszt. Ainsi que le propose lui-même l’artiste, il s’agit de poser un nouveau jalon sur un temps rythmé par les reprises des mêmes œuvres comme autant de discrets palimpsestes. Peut-être alors son jeu suit-il des chemins qui ne nous sont pas accessibles, et dont il ne nous est pas donné d’en sentir la valeur.

Le tissage du programme autour des répons entre pièces brèves de Chopin et pièces fleuves de Liszt a pourtant son intérêt. L’interprète peut y faire montre d’intéressantes qualités de jeu. L’expressivité méditative de ses rubati est conforme à une conception intime du recitativo chopinien et nous vaut de belles pages. À ce titre, et malgré un son parfois un peu gras dans le medium, l’interprétation du Nocturne en ut mineur Op.48 n°1 reste la plus convaincante des trois pièces empruntées au compositeur. On garde le souvenir d’un phrasé élégant, sobrement soutenu par une main gauche présente, mais sans lourdeur. À sa suite, la Polonaise-Fantaisie en la bémol majeur Op.61 confirme ces qualités. La musicalité est chantante, l’émotion contenue. Mais le jeu semble souvent distancié, parfois comme privé de chair. Aux pages martiales de la partition, le son s’emmêle encore de trop de résonances. Déjà, l’on se prend à rêver. Faisant suite à ces deux pièces, Gretchen en la bémol majeur de Liszt (deuxième mouvement de la Faust-Symphonie, version pour piano) ne parvient pas à nous accrocher et laisse alanguis et l’esprit flottant. Clôture de la première partie de ce concert, la Polonaise en fa dièse mineur Op.44 offre, dans la lignée des œuvres précédentes, un jeu extrêmement honnête et propre – son un peu gras, toujours, diction agréable ici et là –, mais vaguement désincarné.

Quoique plus convaincante, la Sonate en si mineur qui ferme le programme ne peut redresser l’ensemble. Aucun reproche technique, sinon quelques trilles un peu faibles. Le chant demeure toujours agréable, le rubato impeccable, les perlés délicats. Mais les silences sont trop peu marqués, une certaine lourdeur mélodique se remarque dans les forte, les tutti restent sans soleil – ces accords à dix doigts qui viennent briser les marches d’harmonie ! Rien d’insupportable, rien de grandiose : un Liszt bien raisonnable, somme toute (autant que Liszt puisse l’être), et fort loin des abysses que promettait le programme de salle.

À la décharge de l’artiste, notons l’affaiblissement certain du Steinway : medium aussi criard que l’aigu, basses désespérément sourdes. Cela dit, son jeu foncièrement sérieux, même quand il s’amuse ou prétend le faire, laisse tout de même le sentiment d’être resté en marge d’un concert tranquille. Un piano honnête, pourtant, qui ne feint pas, et cherche, sans doute avec sincérité, les voies de son expression. Ce qui nous vaut, en bis, une très convaincante page de Schumann, dédicataire de la Sonate, musicien sans duplicité qui, nous semble-t-il, convient bien mieux au jeu de Zacharias que les compositeurs choisis cet après-midi.

MD