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Chroniques
récital Christine Schäfer
œuvres de Brahms, Crumb et Debussy
Après sa remarquable prestation dans le rôle de l’Ange du Saint François d’Assise de Messiaen à l’Opéra Bastille, après une lumineuse Résurrection de Mahler au Théâtre des Champs-Élysées, le soprano Christine Schäfer nous revient pour un fort beau récital à l’Auditorium du Musée d’Orsay. Elle en ouvre la première partie, consacrée à Johannes Brahms, par la Sapphische Ode qu’elle donne avec grande souplesse et décontraction, retenant prudemment la voix pour mieux diriger la ligne de chant de cette prise de contact avec le public. Puis elle alterne judicieusement des poèmes de caractères différents qui toutefois s’inscrivent dans une même thématique.
Dès An die Nachtigall, la chanteuse libère la plénitude d’un timbre qui se révèle riche et expressif. Au piano, Eric Schneider cultive une sonorité relativement ronde qui masque les aigus peu flatteurs du Steinway tout en articulant délicatement la verbosité de l’écriture brahmsienne, à peine soulignée d’une pédalisation toujours choisie. À la dynamique de Komm Bald et à l’élégance d’Immer leiser wird mein Schlummer succède une interprétation particulièrement émouvante de Der Tod, das ist die kühle Nacht, grâce à une intelligence hors pair du texte dont chaque mot nous parvient à la fois simplement et chargé. Nachklang bénéficie d’une évidence comparable, tandis qu’Abendregen, si finement nuancé qu’il soit, paraît un rien maniéré. Puis Lerchengesang offre le même investissement, une manière d’habiter le poème ou de s’en laisser envahir (qui sait ?...) qui s’installe et chasse définitivement tout anodin : Wenn du nur zuweilen lächelst, Unbewegte laue Luft et surtout Geheimnis nous emmènent loin de Paris et de son agitation.
En début de seconde partie, Claude Debussy est à l’honneur avec ses Ariettes oubliées qu’il composa sur des poèmes de Verlaine, à son retour de Rome (entre 1885 et 1887), parallèlement aux Poèmes de Baudelaire affirmant des préoccupations esthétiques totalement différentes. Christine Schäfer chante C’est l’extase langoureuse exactement comme c’est écrit, réalisant les « détachées-lourées »avec une fidélité rare, tandis que le pianiste inscrit sa proposition dans un climat nettement lyrique. Elle affirme son excellence stylistique dans Il pleure dans mon cœur qu’elle donne sans manière, puis nimbe de mystère L’ombre des arbres, malgré un piano un peu trop emphatique. Les Chevaux de bois sont pourtant trop lents ; Eric Schneider les articule beaucoup trop lourdement, comme s’il n’en avait pas saisi l’esprit. Green et Spleen, les deux dernières mélodies du cycle, jouissent d’une lecture magnifique, d’un chant avantageusement opulent et coloré, d’un piano plus clair.
Pour finir, nous entendons Apparitions, chansons et vocalises élégiaques pour voix et piano amplifié, écrit par l’américain George Crumb en 1979. Dans The Night in Silence under Many a Star, le soprano orne discrètement son phrasé qu’elle pose avec une légèreté fascinante sur l’accompagnement raffiné du piano dont on ne sait plus, par moment, s’il est guitare, clavecin, harpe (travail sur les cordes de l’instrument, directement). Nous goûtons ensuite ses chants d’oiseaux extrêmement virtuoses, usant de toute sorte d’effets, tout au long d’une évocation colorée bien que tournée vers la mort, qui s’achève par le retour des motifs initiaux et le même texte, affirmant l’éclectisme « baroque » du compositeur.
BB