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Chroniques
récital Chuan Qin
œuvres de Fedele, Haydn, Liszt et Messiaen
En fin d’après-midi, le pianiste chinois Chuan Qin, lauréat du Concours Olivier Messiaen de la Ville de Paris en 2003, donne un récital dans l’excellente acoustique, posant notre oreille au cœur de chaque son, de l’Église de La Grave. Il attire à juste titre l’attention sur la mécanique délicate et gracieuse, et en cela proche de Scarlatti, du Moderato initial de la Sonate en fa majeur HXVI-23 de Joseph Haydn. Bien qu’exquisément articulée, sa lecture du Larghetto central manque de la tendresse que ce mouvement invite à élaborer. Plus surprenant encore : ayant à sa disposition un Fazioli qui, en général, offre une grande richesse de sonorité et de couleur, Chan Qin brutalise les aigus du Finale.
Si le Regard de l’Église d’amour (dernier des Vingt regards sur l’Enfant Jésus, 1944), par lequel ce moment de musique s’achève, bénéficie d’une respiration plutôt bien comprise, de nuances et d’une dynamique indiscutables, la question de la couleur, qui n’est certes pas une donnée négligeable de la musique de Messiaen, n’est absolument pas abordée. Auparavant, Bénédiction de Dieu dans la solitude souffrit de rubati emphatiques qui en rendaient l’interprétation futile et chichiteuse.
Mélomane amoureux de montagne, Gaëtan Puaud fréquente les sentiers de La Grave depuis plus de vingt ans. En 1996, il commence à sensibiliser les habitants à la source d’inspiration que fut leur paysage pour Olivier Messiaen. En effet, ce dernier conçut son Livre d’orgue en admirant les glaciers de La Meije. Il rêvait aussi d’y voir interprété un jour Et expectoresurrectionemmortuorum.
Liszt, grand lecteur, fait volontiers référence à tel poète, tel peintre, tel paysage, sans qu’il faille considérer les pièces concernées comme des illustrations de ce qu’elles peuvent citer dans leur titre ; ainsi cet extrait des Harmonies poétiques et religieuses n’a-t-il rien d’un poème symphonique, s’apparentant plutôt à une discrète évocation qui ne demande aucune explicitation. Aussi regrette-t-on que Chuan Qin soit tout occupé à la recherche d’une image d’Épinal au lieu de se concentrer sur la compréhension de la pensée musicale.
Gaëtan Puaud commença par proposer quelques rencontres, des interventions à l’école du village, illustrées d’exemples musicaux. Deux ans plus tard, il créait le Festival Messiaen au Pays de La Meije. La première édition réunissait en un week-end quelques artistes autour du Quatuor pour la fin du temps, dont la partie pianistique fut alors confiée à Marie-Josèphe Jude, entendue hier soi à Grenoble [lire notre chronique de la veille], Pierre-Laurent Aimard et Roger Muraro se partageant une exécution intégrale du Catalogue d’oiseaux. Dès la seconde année, il s’imposa d’explorer des thématiques précises. La programmation prit peu à peu de l’ampleur et, en bonne intelligence avec l’exemple de Messiaen lui-même, ouvrit ses portes à la jeunesse en invitant des interprètes en début de carrière et en jouant les œuvres de compositeurs de la nouvelle génération.
Indéniablement, les Études australes écrites par Ivan Fedele en 2002-2003 révèlent les meilleures qualités de Chuan Qin. Il y affirme un fort beau travail d’accentuation, de différentiation des frappes et, principalement, de nuances, d’un geste à la fois tonique et contrasté, dès l’Étude n°1. À l’Étude n°2, il ménagea avec raffinement une demi-teinte mezzo piano dans une effervescence trillée, tout en profitant de la profondeur de grave du Fazioli. La plus directement rythmique Étude n°3 manque de relief, le pianiste en soulignant certains bondissements plutôt que le puissant surgissement que l’œuvre paraît développer. La réalisation virtuose accordée aux Études n°4 (d’un caractère plus hésitant) et n°5 (avalanche virevoltante) ne suffit guère à rendre convaincante une redite dont le compositeur eut avantageusement pu s’abstenir.
BB