Chroniques

par cécil ameil

récital Daniil Trifonov
œuvres de Bach-Brahms, Liszt et Rachmaninov

Palais des Beaux-arts, Bruxelles
- 27 janvier 2016
le jeune prodige russe  Daniil Trifonov en récital à Bruxelles (27 janvier 2016)
© tba

La salle Henry Le Bœuf du BOZAR (Bruxelles) est comble, un soir de semaine, pour accueillir le jeune prodige russe. Les médias ont déjà beaucoup parlé de lui comme d’un phénomène et, malgré une discographie limitée, les enregistrements sur YouTube donnent un bel aperçu de son talent. Le programme prévoyait à l'origine les Études de Chopin, compositeur de prédilection de Daniil Trifonov, précédées de l'adaptation par Brahms de la célèbre Chaconne de Bach (Partita pour violon en ré mineur BWV 1004) et suivies de la Sonate en ré mineur Op.28 n°1 de Rachmaninov. Elles ont été remplacées par les Six études d'après Paganini de Liszt.

Martha Argerich a déjà partagé son admiration pour le toucher de ce pianiste. C’est probablement sa caractéristique la plus admirable, outre une virtuosité confondante : dans la plus pure tradition de l’école russe, la palette de nuances, de couleurs et de puissance dont Trifonov est capable à vingt-quatre ans est extraordinaire. Il propose une telle variété de sonorités, au sein d’un même mouvement, parfois dans un même élan, capable d’offrir des contrastes inouïs entre les doigts d’une seule main, qu’on est immédiatement saisi et très attentif à son jeu. Le silence qui règne dans la salle en première partie du récital est, à ce titre, éloquent.

Cette prouesse requiert une immense concentration.
À son entrée sur scène, l’attitude du musicien renseigne assez sur son état de quasi transe – tel un automate, il se jette littéralement sur le clavier. On peut affirmer qu’il offre ce soir le meilleur de lui-même, tout entier au service de la musique. À la suite de Brahms, joué de la main gauche avec une intensité et une présence magnifiques pour célébrer le contrepoint de Bach, c’est probablement dans Liszt que Trifonov donne toute la mesure de son talent. On n’en finirait pas d’évoquer les multiples images qu’inspire son jeu tout à tour tendre, démoniaque, drôle, dramatique, en un spectacle fascinant de sons dansants, bondissants, brillants et chatoyants à l’envi. Les oreilles sont sans arrêt sollicitées du fait de cette alternance endiablée de délicatesse et de puissance, sans aucun temps mort. Par ce foisonnement, l’esprit de l’auditeur ne se relâcha pas une seconde ; la venue de la pause laisse un peu hébété.

Il ne serait pas juste de dire que la sonate de Rachmaninov nous transporte également. Certes, la patte du compositeur est reconnaissable dans cette œuvre grandiloquente, et certains passages sont évidemment remarquables. Il reste que, dans son ensemble, l’œuvre est d’un abord difficile, car complexe et torturée : le compositeur dit avoir voulu faire coexister trois personnages du Faust de Goethe, si bien que le résultat est fort agité et quelque peu déroutant.

Ce que Trifonov en a fait reste néanmoins admirable.
Dans les mouvements rapide (Allegro moderato et Allegro molto, ouvrant et fermant la pièce), son engagement à extraire le chant et la force de cette partition est total. On l’entend et le voit parfois sculpter la musique, en quelque sorte, à débusquer les sons du fond du clavier ou accentuer les contrastes d’intensité et de tempi des deux mains. Son engagement physique ne s’économise pas : visage galvanisé, dos voûté, transpiration de plus en plus marquée. Le Lento central, considéré comme une pièce maitresse de Rachmaninov, est plus retenu mais aussi très dense.

Les bis confirment l’intérêt considérable de ce pianiste. Capable alors d’un jeu désarmant de légèreté et de facétie avec des petites pièces russes, dont le Prélude pour la main gauche Op.9 n°1 de Scriabine, le concert s’achève dans les nuances aériennes d’une valse sentimentale de Schubert.

CA