Chroniques

par bertrand bolognesi

récital David Daniels
Caldara, Cesti, Fauré, Gluck, Händel, lotti, Morisson, Mozart, Ravel et Sauguet

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 28 avril 2004
le contre-ténor américain David Daniels photographié par Dario Acosta
© dario acosta

Le contre-ténor américain cherche une nouvelle fois à prouver que son type de voix n’est pas nécessairement à cantonner au répertoire baroque. Avec un programme visitant largement la mélodie française, il défie les idées reçues et provoque sans doute un peu quelques détracteurs qui s’indignent lorsqu’il aborde Schubert ou Poulenc. Il n’en ouvrira pas moins son récital par deux Lieder de Mozart. Dès An Chloe KV.524, on retrouve les habituelles qualités de Martin Katz : élégance, précision, souplesse et riche palette de couleurs, bien qu’une utilisation parfois trop généreuse de la pédale en brouille la perception. Cela dit, il adoucit jusqu’au velours les aigus du Steinway, machine infernale que l’on sait. Le chanteur demeure confidentiel à faire tendre l’oreille, un inconfort qui dure un moment avant que son organe se libère. Il sert Abendempfindung KV.523 avec beaucoup de poésie et de sensibilité, laissant vérifier que les pièces en tempo lent lui conviennent mieux.

De Fauré, il donne quatre des plus célèbres mélodies – dont il a d’ailleurs gravé, pour trois d’entre elles, une version avec ensemble instrumental – : Spleen, Mandoline, Clair de lune et En sourdine, sur les poèmes de Verlaine. David Daniels confirme ce que nous avancions plus haut : la lenteur lui est flatteuse, permettant de donner plus d’espace à sa voix, de soigner la diction, d’homogénéiser le timbre. Ainsi la troisième mélodie est-elle la plus satisfaisante. Le pianiste développe des sonorités subtiles, de charmantes demi-teintes. Dans les Cinq chansons populaires grecques que Ravel écrivit de 1904 à 1906, le contre-ténor offre une belle fébrilité au Réveil de la mariée. Attention cependant à des Aplats à rompre la ligne de chant. Il ne gagnera pas l’esprit de ce cycle. En revanche, si Tout gai ! possède « du chien » sans qu’on y comprenne goutte, la Chanson des cueilleuses de lentisques voit enfin s’élargir l’émission vocale, une nouvelle fois dans une lenteur décidément salutaire.

La voix prend de l’importance dans la seconde partie de la soirée.
De même qu’il y a deux ans, ici même, dans le programme italien donné avec Europa Galante, David Daniels pêche peut-être par excès de prudence. Cela ne gâche rien à la qualité du timbre, mais demeure trop discret. Par contre, si alors on remarquait une projection trop directionnelle, le chanteur y remédie parfaitement aujourd’hui. On l’entend nettement mieux dans Your tuneful voice de Semele de Händel dont il creuse judicieusement certaines notes poitrinées et amène une rondeur nouvelle à la sonorité. Dans Despair no more shall wound me (du même ouvrage), il s’avère efficace, bien que l’air soit plus mouvementé et bondissant. Toutefois, certaines vocalises rapides restent approximatives, comme celles sur « wound », quasiment « savonnées ». Continuant dans la langue d’Albion, les artistes proposent Chamber Music, cycle de mélodies sur des poèmes de Joyce que Daniels commanda au compositeur Theodore Morisson (né en 1938) et qu’il créa l’an dernier. S’il y affirmer une réelle expressivité, l’œuvre elle-même se révèle plutôt faible, lorgnant plusieurs décennies plus tard du côté de Berkeley, de Bridge et de Barber, tout en arborant un rien de music hall d’un goût assez douteux.

Des airs italiens couronnent ce moment : Daniels excelle dans Selva amiche de Caldara, la voix ayant bien pris le temps de se chauffer. Les graves sont plus sûrs, la couleur riche, le timbre s’ouvre, l’instrument répond et le chanteur se libère. L’extrait de Paride ed Elena de Gluck est littéralement somptueux, tandis qu’une maîtrise indéniable fait d’Intorno all’idol moi de Cesti (extrait d’Orontea) la clé de voûte du concert. Le dernier air, Pur dicesti, o bocca bella de Lotti, bénéficie d’une interprétation brillante, malgré des portamenti assez malvenus. Encouragé par un public enthousiaste, David Daniels accorde rien moins que quatre Bis : Music for a while de Purcell, exquisément raffiné, l’une des Chansons gaillardes de Poulenc, joyeusement délurée, une chanson kitch américaine et une charmante lecture de la Berceuse créole de Sauguet.

BB