Chroniques

par nicolas munck

récital de la harpiste Hélène Breschand
œuvres de Luc Ferrari et Kasper T. Toeplitz

Biennale Musiques en scène / Musée des moulages, Lyon
- 26 mars 2014
la harpiste Hélène Breschand joue Luc Ferrari et Kasper T. Toeplitz à Lyon
© dr

Étrange décor sculptural de bustes, angelots décapités, rois francs et saints chrétiens… Tel est l’écrin offert par le Musée des moulages (bâtiment rattaché à l’Université de Lyon 2) au récital Over the clouds de la harpiste Hélène Breschand. Personnalité musicale singulière et décapante, tout particulièrement investie dans les champs du contemporain, de la création, de l’improvisation et des inépuisables ressources du théâtre musical, elle propose un programme « bruitiste » (parfois proche du noise) à l’image de son engagement et décliné autour de deux pièces mixtes pour harpe(s) et dispositif(s) électronique(s).

Première œuvre, premier nuage, avec À la recherche du rythme perdu du compositeur français « facteur de sons » Luc Ferrari, dans la version harpe et électronique de 1978. Difficile de retracer la genèse d’un tel opus qui se fait le prolongement de pages antérieures ; nous restons à la recherche d’À la recherche… Notons toutefois qu’à l’origine du projet se trouve le Programme commun pour clavecin et bande magnétique (1972) dont la partition de transformations a été réutilisée. Initialement composée pour piano, percussion et bande magnétique, cette pièce n’a toutefois jamais été jouée avec percussions (à l’exception d’un enregistrement de 1989) – une affaire bien surprenante conclue ce soir par une version pour harpe (proche du modèle pianistique) réalisée par Hélène Breschand.

Dans un climat d’abord très harmonique (accords fonctionnels, juxtapositions de dominantes non résolues), de notes-pôles et d’intervalles structurants, À la recherche du rythme perdu s’organise progressivement autour de continuums rythmiques et pulsés générés par l’électronique. Sur cette « électronique continue » parfois proche du bourdon et contribuant à l’enrichissement harmonique et rythmique de l’ensemble (par déphasages), la harpe développe des traits virtuoses de plus en plus denses dont le débit vient frotter (au sens rythmique du terme) avec l’électronique. Si les impulsions du dispositif sont d’abord sur le temps, elles finissent par se retrouver à contretemps jusqu’à la surcharge d’informations. Chose amusante, ce n’est pas tant l’électronique qui vient transformer la perception de la harpe, mais bien un phénomène de « saturation acoustique » qui se noie dans une rythmique à deux pas de la transe hypnotique.

Dans une seconde section contrastée et contrastante, l’électronique se pare d’atours plus écologiques dans la définition d’un son concret et bruiteux, dans lequel on reconnaît sans mal un chant de cigales sur contrechant de chouettes et dégageant une harpe limpide et d’une incroyable clarté. Flirtant parfois avec un dé-tempérament proche de sonorités traditionnelles, les modes de jeu se font plus nombreux et mettent à l’oreille gongs thaïlandais et gamelan javanais, à la manière des Sonates et Interludes de Cage. L’œuvre se referme dans un délitement progressif. À l’exception de cette évocation du modèle pianistique, reflétant un habile travail et une intelligence dans l’acte de transcription, nous nous laissons porter par cette version pour harpe qui a tout de l’original. Bien que d’apparence immuable, À la recherche du rythme perdu envoûte par un jeu quelquefois imperceptible de micro-variations et transformations conviant à l’écoute personnel et intime. Est-cela cet au dessus des nuages ?

Pensé en un seul et même temps et en une scénographie cohérente, le récital se prolonge avec la création mondiale de Convergence, saturation & dissolution (commande GRAME, Biennale Musiques en scène), du bassiste Kasper T. Toeplitz, en charge de la diffusion et de la gestion à la scène de l’électronique « temps réel ». Née d’une rencontre entre interprète et compositeur et d’une volonté commune de faire se croiser pensée instrumentale et pensée électronique, la pièce propose une belle incarnation sonore en pitched noise du lien entre transformation(s) et geste(s) dans un dispositif pertinent et soigné. En complément de transformations spatialisées engendrées par l’ordinateur, l’instrumentiste est équipée de deux tablettes numériques remplaçant la partition et intervenant comme pads de déclenchement (sons et lumières), et d’une bague (gyroscopique ?) manifestement proche des systèmes développés pour la Console Nitendo Wii. Déjà complexe, l’environnement bénéficie de nombreux « objets extérieurs » dont le potentiel, déjà existant dans le champ acoustique pur, est transformé et décuplé par effets et plugins. C’est une belle machine qui permet par ailleurs de définir la mixité dans la recherche d’un son global convergent, saturé ou dissolu. Dans une section centrale, faite de sonorités électriques, de bourdonnements où l’on retrouve oscillateurs dé-tempérés et bruits roses dans une saturation générale, Toeplitz explore les seuils de la perception ; l’oreille est soumise à une expérience d’écoute aussi captivante qu’éprouvante.

Attirés par le chant de ce méta-instrument et de ses innombrables possibilités, nous nous posons toutefois la question du formel. Si la recherche de l’interaction et de la dualité des sources est bien opérante, la structure de l’ensemble (à la fois lumineuse et sonore) apparaît comme trop connectée au développement du sonore qui implique un degré de prévisibilité. D’autre part, peut-être n’avons nous pas saisi son action, nous avons du mal à comprendre l’impact du jeu de lumières qui semble surligner, sans dissociations, la transformation. Dans un autre registre, puisque cela fait partie intégrante des activités de la musicienne, il faut se demander quelle peut-être la place de l’intervention d’un interprète créateur, improvisateur… Gardons un peu de mystère.

C’est donc au travers de ces deux pièces explorant des aspects différents de la relation entre instrumental et électronique que nous découvrons l’une des multiples facettes de la personnalité artistique bouillonnante d’Hélène Breschand. Au-delà d’une virtuose incontestable de la harpe et de ses extensions technologiques, nous avons affaire à une nouvelle forme de musicien-chercheur, acteur fervent de la construction d’un nouveau répertoire.

NM