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Chroniques
récital des mezzos Karine Deshayes et Delphine Haidan
Orchestre national Avignon-Provence, Debora Waldman
Unies au disque (Deux mezzos sinon rien, 2020) et maintenant en récital [lire notre chronique de l’avant-veille], Delphine Haidan et Karine Deshayes passeraient presque pour de nouvelles sœurs en opéra, dans une longue histoire s’écoulant des Weber si chères à Mozart aux Costa-Jackson célébrées outre-Atlantique, en passant par la Malibran et Pauline Viardot [lire notre chronique d’Évocation]. Or, c’est, tout juste célébrée à travers l’Île-de-France à l’occasion de son bicentenaire, Mademoiselle Garcíaépouse Viardot (1821-1910) qui est la première compositrice honorée en cette soirée lyrique. À la belle entrée des cors, puis du charmant soupir de cordes comme en suspens, aux sons effeuillés, voici la merveilleuse mélodie Pourrais-je jamais aimer une autre femme ?, tirée de l’opérette fantastique Le dernier sorcier (1869). La poésie française romantique trouve en Delphine Haidan une aimable émission, droite et classique. Mais une interprétation encore meilleure s’ensuit, dans la mythique langue russe de Pouchkine et avec des échos de hautbois et de basson, dans Les monts de Géorgie (1864), une pièce plus fluide, expressive et onirique sur la fin.
Louise Bertin (1805-1877) reprend le flambeau des Parisiennes oubliées, dont les grandes œuvres restent à découvrir sur nos scènes. L’Ouverture de Fausto (1831), son opéra semi seria en quatre actes, se révèle un exercice de style bien prononcé. D’abord riche de contrastes grâce à une orchestration originale, la musique, devenue joliment mélodieuse, se fait plus dramatique et l’orchestre chatoie avec grâce. À son meilleur, un thème romantique la traverse et mène vers le grandiose. Le pot-pourri séduit, dans l’attente de goûter l’œuvre au complet, sous la battue de Christophe Rousset – le 20 juin 2023, aux Théâtre des Champs-Élysées, dans la cadre du Festival Palazzetto Bru Zane.
Un peu plus tardif, l’opéra Mazeppa (1892) de Clémence de Grandval (1828-1907), gagne aussi à se faire connaître par quelques-unes de ses mélodies : l’une, légère, du prélude de l’Acte III, l’autre, plus prégnante, au hautbois, et sous-tendant le climat primesautier d’une danse ukrainienne. Toutefois le romantisme français le plus marquant a plutôt tenu au génie singulier d’Hector Berlioz (1803-1869) à travers le duo Reine d’un jeune empire, extrait de l’opéra Les Troyens (composé entre 1856 et 1858). Prélude étincelant, presque inouï, et poésie idéalement offerte par Karine Deshayes ouvrent la voie à l’échange mûri et souverain entre deux cantatrices maîtresses de ce très étrange écoulement musical du temps.
Tout aussi appréciable, le travail d’arrangement de Berlioz sur l’opéra Orphée et Eurydice de Gluck est salué dans le fameux J’ai perdu mon Eurydice, par Delphine Haidan à son plus harmonieux ; plus intense encore, avec l’exaltant Amour, viens rendre à mon âme, Karine Deshayes semble atteindre un nouveau sommet tant l’air séduit et emporte par le fabuleux élan de bravoure. À l’heure du bel canto italien, c’est même un triomphe pour Karine Deshayes, ovationnée et émue après Qui la voce (Bellini, I Puritani, 1835). D’une superbe largeur, sinueux, fondant et clair, le chant de cette Elvira passionnée magnétise le public.
Enfin, trois duos d’une remarquable douceur portent la marque de Rossini, Vivero io non potro de La donna del lago (1819), le lustral Giorno d’orrore de Semiramide (1823) et Non bastan quelle lagrime du drame Elisabetta, regina d’Inghilterra (1815) [lire notre chronique du 21 juillet 2021]. Dès le début de soirée, la sauce rossinienne avait bien pris avec l’Ouverture d’Otello (1816), offerte à la régalade par l’Orchestre national Avignon-Provenceet sa cheffe Debora Waldman [photo], dans le bon tempo. Deux petites surprises du duo réchauffent les cœurs : El Desdichado (1871), boléro de Saint-Saëns, puis la très célèbre barcarolle d’Offenbach (Les contes d’Hoffmann, 1851).
FC