Chroniques

par laurent bergnach

récital des Percussions Claviers de Lyon
Bernstein et Zappa

Vingtième Théâtre, Paris
- 14 mars 2006

Qu'elle mouche a donc piqué Philippe Maillard en intégrant à sa quinzième saison, dominée par les grandes figures du baroque jouées au clavecin ou au luth, un programme Zappa / Bernstein par les Percussions Claviers de Lyon ? S'il espérait attirer l'attention de la presse spécialisée, ce fut en vain : ce soir, Les Inrock' se repose de l'accouchement d'une nouvelle formule et Le Monde de la Musique est au fond de la mine, occupé au filon Mozart. Y avait-il quelque chance du côté de cette presse qu'on dit électronique – la qualifier d'écrite, c'est s'écorcher la bouche ? Hélas, à l'inverse de la célèbre boutade de Satie, certains de ses chroniqueurs sont nés trop vieux pour un média trop jeune, donc insensibles à l'art de leur propre aujourd'hui ; mieux vaut pour eux essayer de se faire une place sous les plafonds dorés du centre ville, et ne parler de musique contemporaine qu'en assistant à ses éruptions les plus officielles. Bref, là où nous soupçonnions la prise de risque d'un directeur artistique, Maillard confirme : « pas de carcan, pas d'a priori, pas de snobisme », et met fin à ce questionnement par les mots « coups de cœur ». Une courageuse différence qui le distingue largement d'une consœur, laquelle anime régulièrement un théâtre réputé avec des pointures telles Isabelle Faust, Andreas Staier ou encore Alexandre Tharaud, et avouait il y a peu aborder « le dimanche matin avec, toujours, un pincement au cœur ». Rappelons-lui qu'afin qu'un artiste rencontre le public, comme elle dit le vouloir, il est conseillé de prendre soin d'ouvrir les portes aux journalistes qui souhaitent apporter leur soutien avant de consulter les registres comptables.

Mais place à la musique !
Comme nous le rappelle en préambule Gérard Lecointe (vibraphone, xylophone, glockenspiel), Franck Zappa [1] fut à la frontière entre rock, variétés et musique contemporaine (célèbre collaboration avec Boulez et l'EIC). Arrangé par Jean-Luc Rimey-Meille, We are not alone voit se succéder une douzaine d'ambiances diverses qui mettent en avant – parmi une nuée d'unissons, témoins du ciment du groupe – les ondes métalliques du vibraphone joué sans partition par Gilles Dumoulin, le son boisé du marimba deRaphaël Aggery, un solo de trois bonnes minutes développé à la batterie par Henri-Charles Caget. Réalisant le goût de l'artiste pour les enchaînements imprévisibles, l'auditeur passe ainsi d'une énergie de free jazz au chantonnement proche d'une berceuse, du gimmick pop à une cellule de musique répétitive minimaliste, le tout servit avec beaucoup d'aisance par la formation lyonnaise.

Après l'entracte, un autre univers s'ouvre à nous avec des extraits de West Side Story, l'ouvrage de Leonard Bernstein qui, avec ses danses de séduction et de mort, sa musique ethnique, ses ritournelles imparables, avait décidément tout pour être la Carmen des Nord-Américains. Nombreuses ont été les transcriptions (comme celle pour guitares, proposée par le quatuor Amanecer [lire notre critique du CD]), mais celle de Gérard Lecointe – contemporaine de la création de l'ensemble, en octobre 1983 – fut agréée par le compositeur. Le changement de plateau laisse moins de place aux cymbales et caisse claire – le batteur s'installe derrière un autre instrument, rappelant au passage les aspects protéiformes d'un percussionniste, dont le cri n'est pas des moindres – et met en vedette Sylvie Aubelle au marimba basse. L'arrivée du sifflet, de la crécelle, du tambourin ou du gong n'empêche pas le silence et la délicatesse de s'installer, comme pour le sensible Maria ponctué de claquements de doigts, d'échos de maracas subtilement dosés. Même si on n'est pas fan de la partition, une interprétation si maîtrisée en révèle finalement la magie.

Enbis, le Club des Cinq mérite bien de se lâcher pour un moment « pas très sérieux ». Encadré par les célèbres notes d'Also sprach Zarathoustra, un medley en forme de zapping télévisé mélange tubes du classique, génériques de séries d'action et de dessin animé, jingles de pub et standards de la musique populaire (James Brown, Claude François, Gainsbourg… et Rouget de Lisle).

LB

[1] dont les fils Dweezil et Ahmet viendront jouer l'œuvre à Paris, le 5 juin prochain.