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Chroniques
récital des pianistes Pavel Kolesnikov et Samson Tsoy
La deuxième étape de cette journée que le Festival International de Piano consacre à la musique pour deux pianistes – c’est-à-dire pour deux pianos ou pour piano à quatre mains – rejoint la scène habituelle de l’événement, la Parc du Château de Florans, où Pavel Kolesnikov et Samson Tsoy se penchent sur Franz Schubert. Aussi les tempêtes de la vie ouvrent-elles leur récital quasiment sylvestre de 18h, accompagné par les cigales : Lebensstürme D.947, fameux Allegro ma non troppo en la mineur de 1828 pour quatre mains, trouve d’emblée une réponse fort sèche sous leurs vingt doigts, qui va s’assouplissant. La reprise du motif initial n’ose plus une attaque si heurtée, l’interprétation favorisant dès lors une sonorité plus ronde bien que toujours précisément ciselée. La dynamique du Fazioli n’est sans doute pas pour rien dans ce bref atermoiement. L’approche évite judicieusement la démonstration et favorise la délicatesse, y compris dans les passages de tourmente comme l’œuvre en présente tant. Peu à peu, le chant prend forme, dans cette simplicité propre au compositeur.
Contrairement au précédent rendez-vous de ce lundi [lire notre chronique du jour], les musiciens ne s’exprimeront pas sur deux instruments et concentrent leur programme sur un seul, joué à quatre mains, donc. Né à Kharkiv en 1955, Leonid Desyatnikov est l’auteur de plusieurs opéras – Vitamine de croissance (1985), Les enfants de Rosenthal (2005), etc. – et d’une douzaine de musiques pour le cinéma qui le firent connaître. Nous découvrons en première française Trompe-l’œil, pour l’exécution duquel les rôles sont échangés : le pianiste kazakh gagne cette fois l’aigu du piano et le Sibérien s’installe à sa gauche. Selon une technique de collage, Desyatnikov a visité la célèbre Fantaisie en fa mineur D.940 de 1828, réalisant des extensions de ses motifs dont il réorganisa l’apparition. Réminiscence inquiète, son œuvre intègre encore des éléments jazziques et des scansions qu’on pourrait croire tombées du Sacre du printemps. L’approche qu’en signent Tsoy et Kolesnikov, ses défenseurs à travers le vaste monde, révèlent de belles qualités pianistiques, assurément, mais l’opus ne convainc guère, il faut l’avouer. Copieux écho d’une page plus que connue dont l’identité est précisément l’obsession, il la ferme plus certainement qu’il ne l’ouvre, au point de rendre difficile, par la suite, l’audition de son inspiratrice, près de vingt-quatre minutes plus tard.
Et la voilà, cette Fantasie f-Moll D.940 !
Dans une tendresse surprenante, les artistes entament l’Allegro molto moderato qu’ils mouillent à peine par une pédalisation parcimonieuse. Une secrète rhétorique du désir sourd infailliblement de leur jeu, qui n’entre pas en résonnance avec l’extrapolation de Desyatnikov. Le ressassement fait le moteur de l’œuvre, du jeu, des innombrables variations de son thème, ô combien obsessif, qui semble toujours écrire et réécrire une vaine lettre qui resterait en un tiroir, oubliée à jamais. Après un Largo à la dolence humble, pourrait-on dire, l’élan plein d’espoir de l’Allegro vivace s’interrompt dans la catastrophe intérieure. La sensibilité de nos pianistes rend parfaitement ces tentatives toujours renouvelées d’ouvrir la fenêtre de la mélancolie vers un ciel meilleur et l’implacable obligation de la refermer dès entrevue la sortie, comme pour se mieux cantonner à l’impossible qu’il ne faudrait que rêver. Il est bouleversant, ce Schubert-là, et la présente version ne se trompe pas.
…meilleur est le temps de Dieu… Voilà le titre de la cantate BWV 106 qu’écrivit en 1707 le jeune Johann Sebastian Bach, alors dans sa vingt-deuxième année. Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit, dont le texte explore l’obligation dans laquelle l’homme se trouve de mourir, est habitée d’une telle profondeur qu’on la désigne aussi Actus Tragicus. Elle est introduite par une Sonatine en mi bémol majeur que Márta et György Kurtág ont transcrite pour piano à quatre mains et qu’ils ont beaucoup jouée lors de leurs récitals si touchants. Ce sont ces deux minutes de grâce absolue que Pavel Kolesnikov et Samson Tsoy offrent au public, pour finir.
BB