Chroniques

par bertrand bolognesi

récital des pianistes Sélim Mazari et Jean-Baptiste Fonlupt

Festival International de Piano / Centre Marcel Pagnol, La Roque d’Anthéron
- 31 juillet 2023
Sélim Mazari et Jean-Baptiste Fonlupt jouent Rachmaninov au FIP 2023
© anne-élise grosbois

Après les deux concerti de Chopin, hier soir, par Bruce Liu [lire notre chronique de la veille], notre séjour au Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron (FIP) se poursuit par une journée consacrée au piano en duo, qu’il s’agisse de jouer à quatre mains ou sur deux pianos. Voilà un exercice fort différent, qui permet un échange précieux à des artistes s’exprimant d’habitude en solitaire. Ce parcours en trois étapes commence à onze heures du matin, en l’auditorium du tout jeune Centre Marcel Pagnol, où nous entendons Sélim Mazari et Jean-Baptiste Fonlupt, d’abord sur un grand Bechstein qui fait sonner les Six Pièces à quatre mains Op.11 de 1894, Mazari se chargeant de la moitié grave du clavier lorsque l’aiguë revient à Fonlupt, devant un parterre bien rempli. Après une Barcarolle soigneusement dessinée, comme d’un seul homme, puis un Scherzo sympathique quoique anecdotique, la Chanson russe prend des allures d’hymne religieuse bientôt rehaussée par des variations lisztiennes. À la Valse ici donnée tout en élégante et généreuse douceur, les interprètes renouent dans la Romance avec le climat de la Barcarolle liminaire. La volée de cloches de l’ultime Слава, point immédiatement livré, se déploie enfin dans une aura comme venue de Godounov.

Changement de dispositif : Jean-Baptiste Fonlupt demeure face au dentier du Bechstein et Sélim Mazari rejoint celui d’un Steinway, installé en face. Ils se lancent dans la Rhapsodie russe en mi mineur de 1891 et font apprécier la bonne idée d’associer deux instruments de factures différentes dont les sonorités s’avèrent ici complémentaires : la clarté de l’aigu presque violente du Steinway se marie idéalement avec le grave enveloppant du Bechstein. Ainsi les couleurs sont-elles plus finement déclinées. C’est une qualité du festival que de ne pas cantonner les musiciens qu’il invite à jouer uniquement des Steinway, comme c’est encore trop souvent le cas de la plupart des salles de concert. Avec le Fazioli d’hier, voilà trois factures représentées, ayant chacune ses qualités. On espère voir un beau jour siéger un Steingraeber ici, là un Paulello et ainsi de suite, au fil des semaines estivales qui pourraient donner à goûter autant de timbres et d’impédances particulières. Avec la présence du clavecin et même de l’orgue, il ne manque plus au FIP que de s’aventurer vers le pianoforte.

Dix ans plus tard, Rachmaninov, l’unique compositeur de cette matinale, écrivait la Suite pour deux pianos Op.17 n°2. Pour ses quatre mouvements, les pianistes échangent leur place : cette fois, Mazari est au Bechstein et le Steinway à Fonlupt. Et la majestueuse marche en ut majeur (Introduzione) de retentir dans une inflexion judicieusement péremptoire qui n’exclut pas le raffinement. Indiquée Presto, la Valse qui s’ensuit tournoie jusqu’au vertige, ménageant en son cœur un moment de tendresse plus introspectif que nos musiciens magnifient par une approche sensible. Le lyrisme qui caractérise la présente lecture du troisième épisode, Romance en la bémol majeur oscillant avec subtilité dans des modulations délicates qui la rendent moins franche, nous fait dire que c’est pour ce moment qu’il fallait se lever aujourd’hui : le poids gracieux accordé à son chant signe une interprétation poétique que retiendra l’oreille. La tourmente du grand dépressif russe survient avec la Tarentella qui clôt le cycle non sans oublier de convoquer, une nouvelle fois, quelques échos campanaires. Afin de remercier l’accueil chaleureux d’un public enthousiaste, les pianistes offrent en bis un morceau à quatre mains dédié à Siloti en 1906, la brève Polka italienne en mi bémol majeur dont l’emportement prend cordialement congé.

BB