Chroniques

par david verdier

récital du baryton Phillip Addis
Britten, Korngold, Poulenc, Ross et Wolf

Opéra national de Paris / Amphithéâtre Bastille
- 11 janvier 2014
le jeune baryton canadien Phillip Addis en récital à l'Amphi' Bastille
© dr

Le public parisien l’a découvert en 2009 dans les fragments reconstitués de l’opéra de Claude Debussy, La chute de la maison Usher [lire notre chronique de la version jouée ici même le 1er mars 2012]. Le baryton canadien Phillip Addis aime les œuvres rares et oubliées (Der Vampyr d’Heinrich Marschner, par exemple). L’entendre en récital est l’occasion de mieux se familiariser avec lui. La salle Favart l’attend prochainement dans la reprise de Pelléas et Mélisande dans la production signée Stéphane Braunschweig [lire notre chronique du 22 juin 2010], du 17 au 25 février. Pour l’heure, c’est à l’Amphithéâtre Bastille qu’il pose ses valises pour un récital de mélodies en compagnie de la pianiste Emily Hamper.

Le programme présente en miroir deux cycles de Britten (Songs and Proverbs of William Blake Op.74) et de Francis Poulenc (La fraîcheur et le feu). Derrière l’alternance de styles, on note la cohérence de l’interprète et le plaisir non dissimulé qu’il entretient avec les textes poétiques. En ouverture, le très confidentiel (et non édité !) Abendlieder d’Hugo Wolf d’après un texte de Lenau. On entend ici un compositeur d’à peine dix-sept ans qui s’essaie à un registre expressif aux contours étonnamment assez froids et sulpiciens, en comparaison avec sa production à venir.Dans les très séraphiques notes tenues, la voix tremble un peu à froid, avec des aigus un peu étroits. Le clavier d’Emily Hamper tricote en trame de fond une écriture en choral très distancée.

Elliptiques autant qu’énigmatiques, les Songs and Proverbs of William Blake Op.74 de Benjamin Britten sont construits en couplets binaires, suite de miniatures violentes où la voix exprime tour à tour concentration et véhémence. Phillip Addis démontre des qualités évidentes, une émission fort naturelle et débarrassée d’affects ou de « trucage ». Sur la durée, on apprécierait que l'armure de la probité se fende à certains moments stratégiques – The Chimney Sweeper par exemple. Ce poème fait de minuscules et de mesquines écailles parmi lesquelles passe discrètement le thème du destin de la Cinquième Symphonie de Beethoven… Sans forcément rechercher les effets d'un Fischer-Dieskau (dédicataire du cycle), on imagine aisément une manière plus adéquate de souligner le sens. Contrairement aux ennuyeux Ah! Sun-flower et A Poison Tree, la voix déplace son centre de gravité de la poitrine vers le masque pour donner au très noir Every Night and every Morn une dimension plus caractéristique.

À de nombreuses reprises, la tessiture de La fraîcheur et le feu de Poulenc se rapproche de celle d'un baryton-Martin. Les poésies de Paul Eluard auraient mérité une écriture pour piano moins anecdotique, mais l'interprétation parvient à faire oublier cet inconvénient. Encore trop à fleur de notes dans Rayons des yeux, on préfèrera ce que Phillip Addis réalise dans Unis la fraîcheur et le feu ou La grande rivière qui va.

La création de Waypoints (Points de repère) résulte d'une commande faite au Canadien Erik Ross (né en 1972) sur des poèmes de Zachariah Wells pour leur tournée de récitals. La postmodernité rugueuse peut dormir tranquille, on ne joue pas ici dans la même cour. Malgré les tensions vocales qu'il exige, ce cycle conventionnel roule volontiers dans l'ornière du cinématographiquement correct mâtinée d'une réflexion existentielle naïve.

On aurait pu imaginer ailleurs qu'en conclusion les deux Lieder de Korngold chantés très sagement et sans contraste – contrairement au nostalgique bis de Ralph Vaughan Williams, d'après Henry VIII de Shakespeare, dans lequel le baryton canadien trouve des marques et une assurance évide.

DV