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Chroniques
récital du baryton Pierre Doyen
accompagné par le pianiste Daniel Blumenthal
Le récital que donne le jeune baryton liégeois Pierre Doyen, accompagné du pianiste d’origine américaine Daniel Blumenthal, s’articule autour d’un fort beau programme de mélodies françaises. Âgé de vingt-huit ans, Pierre Doyen s’est formé à Liège, Bruxelles et Londres. Après plusieurs apparitions à La Monnaie (Bruxelles), il s’est spécialisé dans l’opéra et doit se produire prochainement en Flandre et en France.
Les nuits d’été, inspiré des poèmes de Théophile Gautier, regroupe six pièces célèbres d’Hector Berlioz, immortalisées par le soprano française Régine Crespin. La voix du baryton, à la silhouette un peu cintrée dans son costume mais au corps toujours expressif, bénéficie d’un beau timbre et d’une émission menée sans force. La diction est excellente, ce qui est patent dans la première pièce Villanelle. Dans le fameux Spectre de la rose, Pierre Doyen s’avère très engagé, y compris dans la longue introduction écrite pour piano seul. Néanmoins, si l’organe reste ensuite beau et impeccablement placé, le souffle se révèle un peu court, provoquant de regrettables hachures de texte pour une pièce lente et peu rythmée, écrite comme une seule et longue phrase. On retrouve la même malheureuse saccade dans le morceau suivant, Sur les lagunes, adaptée du poème Ma belle amie est morte également mis en musique par Gabriel Fauré dans une version sensiblement plus langoureuse. Plus surprenant, la diction du chanteur devient moins précise et la justesse perfectible dès la quatrième mélodie, Absence.
Il est manifeste qu’il y a là une question de concentration : le baryton retrouve dans Au Cimetière une présence indéniable et une diction sans faille, en jouant presque, ce qui requiert un équilibre subtil dans ce type de pièces peu faites pour la scène. L’île inconnue est moins convaincante, bien qu’empreinte d’une gaieté vraiment propice aux élans de la voix, d’ailleurs en rupture avec les cinq autres. Tout au long de ce premier cycle, le pianiste demeure discret, collant parfaitement au chanteur. On peut sans doute regretter que sa présence ne s’affirme pas plus, mais il n’est pas certain que Berlioz l’ait souhaitée autre.
C’est dans les trois mélodies d’Henri Duparc que Pierre Doyen se montre le moins à son aise. La superbe Invitation au voyage, dont le texte de Baudelaire regorge de magie, est chantée avec trop de sérieux et sans enchantement. Plus généralement, s’il n’y a rien de discutable dans l’interprétation de ces pièces sans doute exigeantes, on retrouve une diction paresseuse et des signes de fatigue dans la voix, le texte s’y trouvant comme noyé dans un legato quelque peu précipité. Il en est de même avec les deux morceaux suivants, La vague et la cloche et Extase. Comme dans Berlioz, toute faiblesse d’engagement de la part du chanteur se traduit instantanément par un moindre contact des yeux avec le public : il manque parfois ce qu’en technique de chant on appelle le « masque », c’est-à-dire la conduite pleine et entière de la voix dans les résonateurs de tête, procurant l’éclat et la présence sans lesquels l’auditeur n’est pas transporté. Dans le cas de Duparc, l’instrument est d’ailleurs comme distrait par des sourcils dont la mobilité désordonnée trahit une absence d’intention claire de la part de l’interprète. Sans doute, aussi, cette voix mérite-t-elle de mûrir davantage, les aigus et les graves convoqués par le compositeur paraissant encore bien fermés.
Le recours à Maurice Ravel prouve, au contraire, que le baryton, sourcils apaisés, est en mesure de traduire pleinement ses intentions et d’offrir une palette expressive prometteuse, avec la concentration voulue. Romanesque, la première des Trois chansons, retrouve tout le sel du début du récital, une diction impeccable, un très beau contact physique. La deuxième, Épique, est moins remarquable, avec une voix peut-être trop retenue. Mais à la Chanson à boire Pierre Doyen apporte une touche personnelle bienvenue : il campe réellement un personnage ivre, confirmant son inclination au théâtre.
Avec l’air d’Edgar (Puccini) en bis, Pierre Doyen clôt ce programme avec un certain panache, mais sans réelle surprise, accompagné par un Daniel Blumenthal qui de bout en bout aura donné tout le rythme et le perlé nécessaires au rehaussement d’une respiration commune.
CA