Chroniques

par bertrand bolognesi

récital du pianiste et compositeur Fuminori Tanada
Burning Bright d’Hugues Dufourt par Les Percussions de Strasbourg

Festival Messiaen au Pays de La Meije
- 29 juillet 2023
L'excellent Fuminori Tanada en récital au Festival Messiaen au Pays de La Meije
© bruno moussier

Grand beau bleu sur la montagne, ce samedi où l’on assiste à deux concerts du Festival Messiaen au Pays de La Meije. Pour commencer, le pianiste Fuminori Tanada, que l’on connaît surtout en tant que soliste de l’ensemble L’Itinéraire et compositeur, donne un récital en solo en l’Église de La Grave. Cette vingt-cinquième édition de l’événement est consacrée à la musique spectrale, comme en témoignaient les deux soirées précédentes où l’on apprécia des opus de Tristan Murail et de Gérard Grisey [lire nos chroniques de l’avant-veille et de la veille]. Ce premier rendez-vous du jour est ouvert par un Prélude conçu par Tanada en 2007. La précision du jeu magnifie une œuvre non avare en échos campanaires, au fil d’un parcours déflagrant dont on apprécie la belle énergie. La carrière d’Yoshio Hachimura fut courte, puisqu’il nous quittait en 1985, à l’âge quarante-sept ans. Diplômé à Tokyo, en 1961, l’artiste fut l’un des premiers maîtres de Tanada qui lui rend aujourd’hui hommage. Ainsi découvrons-nous, dans un legatissimo inouï, sa Méditation Higan-Bana de 1969, solidement architecturée bien qu’elle puisse paraître parfois a l’improviso. Alors qu’on y décelait des souvenirs de la Seconde École de Vienne et des influences plus contemporaines de l’auteur, voici qu’apparaît un îlot soudain tonal qui inscrit la pièce dans une modalité plus personnelle encore.

En 1992, Michaël Levinas livrait Trois Études que Maria Bellocchio créerait à Milan à l’automne de cette année-là. D’elles, le compositeur écrivait alors qu’elles « correspondent à un travail d'écriture sur un instrument à hauteur tempérée et fixe. Elles sont polyphoniques selon les principes mêmes que dicte un instrument à clavier. La spécificité d'un piano à pédale sostenuto permet de composer une polyphonie basée sur des vitesses différentes et simultanées grâce au contrôle total des durées de résonances variables. En effet certaines notes sont gardées dans cette pédale sostenuto ce qui permet de faire entendre simultanément des modes d'attaques différents et des résonances aux durées extrêmement variées. D'autre part, les modes de jeu dans les cordes provoquent des effets de registrations variées ainsi que des variations du transitoire d'attaque de l'instrument ou un contrôle à la main de la fin de la résonance d'un son ». Avec ses interventions sur le cordier, Forte-piano, copieusement pédalisé, offre une grande variété de couleurs et de timbres. La seule note des Variations qui s’ensuivent se révèle quasi flûtistique sous les doigts de Fuminori Tanada qui en cultive habilement les effets de cymbalum, de luth ou de koto. Dans Cordes à vide, c’est la kôra qui semble s’inviter sous la voûte, relayée cependant par un piano scintillant malgré la brièveté de cette page. Vingt ans plus tard, Levinas ajoutait une quatrième étude au recueil, intitulée Les larmes des sons, lestement impactée, où se fait clairement entendre le retour à une fascination pour l’écriture de Ligeti.

Très applaudi après l’exécution de ces Quatre Études, le pianiste d’origine japonaise l’est plus encore pour son interprétation, ô combien sensible, de Chant d’extase dans un paysage triste, deuxième des huit préludes d’Olivier Messiaen. Et il s’agit bel et bien d’un chant auquel est ici accordée une impédance encore romantique, jusque dans le délicat lourré du thème. À fleur de peau, la tristesse climatique de l’œuvre s’inscrit dès lors plus certainement que jamais dans les héritages de Dukas et de Debussy, le premier encore de ce monde au moment où Messiaen compose ses Préludes, quand le deuxième s’en était allé à peine dix ans plus tôt. Alors qu’habitude est désormais prise d’intégrer ces œuvres de jeunesse à une facture postérieure et bien plus radicale, nous goûtons, avec grand plaisir, une lecture fixée dans le temps de sa conception plutôt qu’extrapolée vers l’avenir de son auteur. Le programme est conclu par un monument d’une trentaine de minutes, Territoires de l’oubli, un opus par lequel Tristan Murail réagissait, en 1976, contre la manière systématiquement percussive que ses confrères accordaient au piano. « Le piano est traité comme une sorte d’orchestre virtuel », s’expliquait-il alors, « démultiplié par des chambres d’échos imaginaires ».

C’est sous l’orage que nous gagnons le Dôme, à Monêtier-les-Bains, pour retrouver Les Percussions de Strasbourg dans un troisième soirée monographique – il n’est pas si courant de pouvoir assister à des concerts entièrement concentrés sur un seul compositeur pour ne point le souligner. Imaginé par Hugues Dufourt en 2014 pour célébrer les cinquante ans du fameux ensemble, Burning Bright, qui puise dans les vers du poète et peintre visionnaire William Blake, fut créé in loco pendant le festival Musica, puis enregistré dans la foulé. En 2017, le CD était salué d’une Victoire de la Musique. Ne connaissant l’œuvre que par cette galette passionnante, nous sommes quelque peu perturbés par la présente exécution où l’on ne retrouve guère la magie des timbres ni l’extrême cohésion du rendu de son écriture fort complexe. Effet de l’acoustique, distorsion de mémoire ou nette différence d’approche de la part des instrumentistes, nul ne sait ce qui vient entraver notre préhension. De même qu’hier la lune surgissait pour signaler le second pulsar, un grondement de tonnerre accompagne l’extinction des peaux. Ainsi s’achève notre présence au Festival Messiaen qui, lui, n’est pas encore fini, puisqu’une ultime journée est placée sous le signe des oiseaux.

BB