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Chroniques
récital du pianiste Pierre-Yves Hodique
Beethoven, Debussy, Decaux, Enesco, Jongen et Touchard
Il n’est pas si fréquent d’entendre Pierre-Yves Hodique en solo. Plus prompt à s’exprimer en compagnie de camarades musiciens, le pianiste demeure extrêmement rare en récital. À la Scala, cet ancien cinéma où nous avions découvert avec grand plaisir Le papillon noir d’Yann Robin [lire notre chronique du 8 octobre 2021], il joue ce soir, sur un Yamaha, le programme du CD qu’il a enregistré pour le label de la maison et qui vient de paraître. Sept pages empruntant à plusieurs compositeurs d’époques diverses forment un parcours conçu comme une ode à la lune.
Inspiré par le répertoire français romantique et symboliste, comme nous le rappelle une soirée déjà ancienne, à l’auditorium du Louvre [lire notre chronique du 29 octobre 2014], l’artiste ouvre ce rendez-vous, où il est demandé au public de ne pas applaudir avant la toute fin, par Clair de lune de Claude Debussy, troisième mouvement de la Suite bergamasque commencée en 1890 et fixée en 1904, dont il livre une lecture généreuse et à l’inflexion fort souple, articulée par un rubato parfois un rien copieux.
Quittant les sentiers battus, il fait ensuite aborder la musique d’un compositeur oublié, Abel Decaux, né en Normandie en 1869 et disparu à Paris ne 1943. De cet élève de Jules Massenet, Alexandre Guilmant et Théodore Dubois, entre autres, nous est offert le troisième numéro des Clairs de lune écrits entre 1900 et 1907, La mer (1903), dont la tonicité voluptueuse charme d’emblée l’écoute. Une expressivité choisie et savamment cultivée vient suggérer les aléas climatiques d’une partition que l’on pourrait presque dire paysagère. À peu près au même moment, le musicien belge Joseph Jongen, encore trop rare et qui nous est cher [lire nos chroniques de Triptyque, Quatuor avec piano, Messe, Comala, Symphonie concertante, In memoriam, Tableaux pittoresques et Préludes], concevait Deux Pièces Op.33 (1908) dont nous écoutons ici la première, indiquée assez lent, et intitulée… Clair de lune, bien sûr. Conjuguant sa mélodie de cristal à l’obstination d’une cloche optimiste – elle n’est alors pas encore associée à la Grande Guerre –, l’interprétation bénéficie d’une sensibilité joueuse où la manière de Debussy se marie à celle de Ravel.
Soudain, bond dans le temps, puisque Pierre-Yves Hodique a choisi de placer au cœur du menu la Sonate en ut# mineur Op.27 n°2 (n°14) que Ludwig van Beethoven livrait en 1801, dans son intégralité. Lune funeste, cette fois, puisque le fameux Adagio sostenuto s’affirme plus que jamais marche funèbre plutôt que rêverie éthérée. Sans s’encombrer de quelque inutile ampoule, le jeu va son chemin dans le mouvement, abordant bientôt le frais Allegretto médian dans une santé revigorante, contrairement à l’ultime Presto agitato dont le flux se trouvera entravé par une crispation incontrôlée. Retour au début du XXe siècle, avec le septième des Préludes du Livre II (Debussy, 1912), créé par le Catalan Ricardo Viñes au printemps 1913. Nous retrouvons dans cette Terrasse des audiences du clair de lune le souffle personnel du pianiste, tel qu’apprécié au début du concert. De 1913 à 1916, George Enescu inventait sa Troisième Suite pour piano, constituée de sept Pièces Impromptues dont la dernière est un intriguant Carillon nocturne, fort joliment ciselé ce soir.
Sans doute aurait-il été préférable de s’en tenir à ces couleurs sans tâcher de défendre l’indéfendable… Le noir de l’ange, qui associe au piano une partie électronique qu’on osera dire figurative, apparaît tel un épouvantail d’avant-hier qui se prétend d’aujourd’hui. Plus jamais nous n’irons écouter ce que Fabien Touchard fait, voilà qui est certain !
BB