Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Ferenc Vizi
œuvres de Debussy, Liszt et Mozart

Théâtre de la Ville, Paris
- 29 janvier 2005
le jeune pianiste roumain Ferenc Vizi en récital au Théâtre de la Ville (Paris)
© jean-paul lozuet

C'est dans une sonorité très tendre que le pianiste roumain Ferenc Vizi amorce l'Adagio en si mineur K.540 de Wolfgang Amadeus Mozart, samedi après-midi, dans un programme d'une grande cohérence, retrouvant la tonalité en fin de parcours. L'articulation est immensément délicate, pour un travail intériorisé d'une expressivité toujours discrète. Né en Transylvanie il y a trente ans, ce musicien approfondit son art auprès de Gérard Frémy et de György Sebök, un maître dont on rencontre l'héritage dès les premières mesures de ce récital.

Suit Claude Debussy, avec un Children's corner sans surjeu, toujours fort équilibré : Doctor Gradus ad Parnassum use d'une fluidité virtuose, presque infernale, tandis que la fin de Jimbo's Lullaby prend de vrais risques avec la nuance. La Serenade for the doll est finement colorée, tandis que The snow is dancing est comme ébouriffé de blizzard. À la diaphane poésie du Little Shepherd succède un Cake-walk moins simple qu'on l'aurait cru. Ferenc Vizi affirme un raffinement rare, par un jeu très engagé dans l'instrument, sans effets de manches, autant de qualités qu’on apprécie dans laSonateen si bémol majeur K.333 (Mozart), douce comme jamais, portant loin ses mélodies. Qu'on ne s'y méprenne pas : le pianiste développe un jeu concentré, sans affèterie, tout en ne livrant aucun secret.

La seconde partie de ce moment musical est entièrement consacrée à Liszt, à commencer par le Nocturne que Ferenc Vizi, en accusant certaines dissonances, fait sonner comme un cymbalum. C'est tout à fait charmant et rend la musique de Liszt à quelques-unes de ses sources d'inspiration – et le piano à son origine, tout simplement. Nuages gris convient parfaitement à cet artiste qui sait poser chaque teinte très précisément sans perdre le paysage d'ensemble. Une grâce particulière vient éclairer cette pièce tardive, jusqu'à en faire la plus belle chose de ce concert.

C'est avec la Sonate en si mineur que l'après-midi s'achève, dans une lecture qui convainc moins. Beaucoup d’interprètes (même parmi les « grands ») en escamotent certains traits : rendons grâce à Ferenc Vizi d'en respecter scrupuleusement la moindre note, ce qui n'est pas si fréquent. Mais ce qui servit – ô combien magnifiquement – les œuvres précédentes s'avère mal venu dans celle-ci. Pour la Sonate, le son est trop petit, la vélocité paraît exclusivement virtuose, les motifs ne parviennent jamais à s'épanouir, et la nuance va jusqu'à détimbrer l'instrument. On constate un art indéniable du détail, mais la grande architecture demeure disloquée, l'interprétation manquant du souffle nécessaire. Le programme de ce récital était généreux, et demandait une endurance particulière, une présence et une pensée ténues ; on peut imaginer qu'en le jouant dans un autre ordre, la Sonate aurait pu jouir d'une meilleure forme. Quoi qu'il en soit, on retrouvera avec plaisir le son caressant de Ferenc Vizi.

BB