Chroniques

par nicolas munck

récital Florent Boffard
œuvres de Benjamin, Murail, Ravel, Schönberg et Scriabine

Festival Messiaen au Pays de La Meige / Église de La Grave
- 2 août 2013
le pianiste Florent Boffard au Festival Messiaen au Pays de La Meije
© colin samuels

Après une charmante respiration dans le briançonnais, permettant de prendre un peu de distance sur la foule d’informations livrée par la passionnante table-ronde du matin [lire notre chronique du jour], nous remettons le cap sur l’église de La Grave et son acoustique quasi studio pour assister au récital de Florent Boffard. Son programme engageant associe dans un ensemble très structuré les musiques de Maurice Ravel, Tristan Murail, George Benjamin, Arnold Schönberg et Alexandre Scriabine.

Les Valses nobles et sentimentales (1926) de Ravel sont tout à fait emblématiques de la trajectoire donnée à ce programme. Si nous admirons phrasés, contrôle parfait des dynamiques et articulations, maîtrise du clavier et technique foudroyante (le talent du pianiste n’est vraiment plus à prouver et nous avons eu l’occasion de l’observer dans des contextes bien différents), l’intelligence du rendu de cette partition semble plus ancrée dans le domaine analytique. C’est ainsi que la perfection du texte et la conscience manifeste de la conduite des voix au sein de la richesse du discours harmonique prend parfois le pas sur le caractère de ces valses qui paraissent alors privées de chair et de leur structure propre. Nous sommes dans une sorte d’ « apnée musicale », profondément partagée entre l’intelligence du propos et un manque de respiration (elle n’est parfois qu’artificielle).

Cette impression sera sensiblement la même lors de l’exécution du dernier opus proposé, le Scriabine de la Sonate en fa dièse mineur Op.30 n°4 fortement atteint de « wagnérite » et du schéma harmonique de la mort d’Isolde, bouclant avec beaucoup de logique la structure irréprochable de ce menu mais laissant, du moins sur les pièces « début-de-siècle », un peu sur sa faim. À l’inverse, nous apprécions plus volontiers cette approche dans la Suite Op.25 de Schönberg dans laquelle la haute « paramétrisation » du matériau musical trouve un écho plus parfait dans la physique et la mécanique pianistique de Boffard. La récente immersion dans l’œuvre pour piano du compositeur (portée au disque chez Mirare en avril 2013) n’est bien sûr pas anodine. La proximité et l’affinité avec ce répertoire sont ici plus qu’évidentes.

Dans Cloches d’adieu et un sourire, tombeau à la mémoire d’Olivier Messiaen, Murail développe, dans une sensualité harmonique « très Messiaen » (de la couleur avant toute chose), une écriture pianistique de complexes résonnant qui vise à fondre la distinction des registres. Ici, le jeu de Florent Boffard, toujours fort contrôlé et cherchant la densité de chaque accord, se fait plus charnel et presque liquide (dans les registrations aigues). Ce piano respire !

Enfin, l’écriture, par définition contrapuntique, des Shadowslines de Benjamin – six petits préludes canoniques pour piano, petits bijoux d’orfèvrerie – sont admirablement défendus par l’interprète du jour qui, avec beaucoup d’habileté, rend compte d’une simplicité qui n’est qu’apparente. En guise de bis et de prélude au concert du soir, dans lequel ils donneront la version à quatre mains du Sacre du printemps de Stravinsky, François-Frédéric-Guy – qui la donnait avec Jean-Efflam Bavouzet tout dernièrement [lire notre chronique du 16 juin 2013] – rejoint Florent Boffard pour l’exécution de Four de George Benjamin (2010), courte pièce à quatre mains d’une poignée de minutes. Voilà un petit clin d’œil judicieux qui parachève le concert dans un sourire.

NM