Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Frédéric Desenclos
orgues européennes du XVIIe siècle

Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron / Notre-Dame de Beaulieu, Cucuron
- 5 août 2007
l'organiste Frédéric Desenclos à Cucuron pour le Festival de La Roque d'Anthéron
© sylvain couzinet-jacques

Pour s’intituler Festival International de Piano, l’immanquable été musical de La Roque d’Anthéron n’en propose pas moins des concerts où les artistes ne fréquentent pas les « grands crocodiles ». Ainsi, dans une programmation s’étalant sur un mois plein, croisera-t-on le clavecin à sept reprises et cinq fois le pianoforte, sans parler de plusieurs rendez-vous pris avec l’improvisation jazz, la spatialisation, l’électronique ou les « nouveaux claviers ». L’orgue n’est pas délaissé, puisque nous entendons cet après-midi celui que Pierre Duges construisit en 1786 (à partir d’un instrument conçu par Pierre Marchand en 1614) pour Notre-Dame de Beaulieu, l’église de Cucuron, charmant village du Luberon qui inspira le Cucugnan de Daudet.

De longtemps aguerri au répertoire baroque, c’est tout naturellement que Frédéric Desenclos présente un programme couvrant environ cent-vingt ans de musique organistique, dont le centre est à considérer comme un gros XVIIe siècle débordant à peine de sa stricte acception. La première période du récital se concentre sur quatre pièces extraites du célèbre Fitzwilliam Virginal Book, précieuse anthologie (conservée à Cambridge) consacrée aux claviers élisabéthains, due au compositeur cornouaillais Francis Tregian (1574-1619).

Choix judicieux de registration relativement aride pour William Byrd, belle articulation alternant chant et danse, sur une impulsion légère à l’ornementation copieuse pour Orlando Gibbons, ton plus réservé et instrumentation discrète pour The Leaves be green de William Inglot, enfin rondeur et impact plus définis encore pour Loth to Depart de Giles Farnaby.

Logique voyage à Séville et Saragosse, ensuite, avec Ximénez et Correa de Arauxo. De ce dernier, nous entendons les Tres Glosas sobre el Canto llano de la Inmaculada Concepción – soit Trois gloses sur le chant simple de l’Immaculée Conception – à la bombarde solennelle, et, de l’autre, une solide Batalla del sexto tono où le jeu se fait particulièrement brillant. Survient un passage par Paris avec quatre mouvements de Louis Couperin : sonorité d’anches pour l’Allemande, plus nasillée pour la Courante, tempo salutairement leste pour la Sarabande, l’artiste conclut magnifiquement cette halte dans les ors ajourés de la Chaconne.

Par le Praembulum d’Heinrich Scheidemann, maître très respecté des orgues hambourgeoises, nous abordons les Germains. La facture opulente et soyeuse de cette pièce au ton altier nous y introduit par le nord, le fugato passionnant du Capriccio III de Johann Jakob Froberger réunit Couperin et Bach au sud, tandis qu’à l’est, avec sa Cantilena anglica de fortuna, Samuel Scheidt s’inspire de ses ainés virginalistes entendus tout à l’heure, donnant à Frédéric Desenclos l’occasion de faire montre d’une cordiale virtuosité.

Pour finir, l’artiste nous emmène en Italie dont ravit la Toccata Settima de Rossi à la fantasque introduction. Ses toniques déambulations, suspendues par des bouleversements harmoniques surprenants, témoignent d’une inventivité audacieuse, d’autant mise en relief par de vertigineux chromatismes. Ainsi la luxuriance des frottements des Passagagli de Bernardo Storace conclut-elle idéalement ce riche moment.

BB