Chroniques

par laurent bergnach

récital Frédéric Vaysse-Knitter
œuvres de Chopin, Debussy, Liszt et Szymanowski

Festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon / Corum
- 19 juillet 2013
récital Frédéric Vaysse-Knitter | Chopin, Debussy, Liszt et Szymanowski
© dr

D’abord élève d’institutions parisienne puis fribourgeoise (CNSM, Musilhoschule), le pianiste d’origine polonaise Frédéric Vaysse-Knitter perfectionne sa technique auprès d’aînés au talent quasi légendaire : György Sebők, Alexis Weissenberg, Fou Ts’ong, Alicia de Larrocha, Leon Fleisher et Andreas Staier. Autant dire que l’interprète a une vision profonde de son art, laquelle lui fait par exemple renoncer à présenter la Sonate en si bémol mineur Op.74 n°1 (1901) de Glazounov, un triptyque suggéré par les organisateurs qui, une fois pris le temps de l’explorer, ne correspondait pas entièrement à sa nature ni à ses attentes de musicien – comme il nous le confiait en fin de récital.

Ce moment débute donc avec deux autres compositeurs nés au XIXe siècle (1811 pour le premier, 1862 pour le second) que nous n’attendions pas : Liszt et Debussy. Il faut un certain culot pour « chauffer une salle » avec une partition aussi aride que Funérailles (1849), extrait des Harmonies poétiques et religieuses S.173 (1834-1850), un cycle de dix pièces inspiré par le recueil éponyme de Lamartine paru en 1830. Frédéric Vaysse-Knitter aborde avec distance cette page au romantisme contemplatif, générant des climats nuancés : sous ses doigts, la solennité se veut dansante et l’exaltation plutôt tendre, sans jeter toutes ses forces dans la bataille (ça, c’est pour plus tard !).

Des Préludes composés entre 1909 et 1913, dont certains furent présentés au public par Ricardo Viñes et le compositeur lui-même durant cette période, suivent trois extraits : Des pas sur la neige, éthéré et délicat ; puis Ce qu’a vu le vent d’Ouest, mystérieux et inquiet, jusqu’à se teinter d’une touche de folie ; enfin La Cathédrale engloutie, dont le tempo particulièrement lent choisi, à la limite de la déstructuration, renforce toute la modernité de cette musique qualifiée d’impressionniste.

« Odyssée de l'âme de Chopin » selon les mots de Liszt (son cadet d’un an et demi), Ballade en sol mineur Op.23 n°1 (1835) permet de savourer un peu plus la technique de l’artiste en scène (fébrilité virtuose, préciosité de notes perlées) mais surtout sa capacité – alors même que la pièce s’oriente vers une libération sans mélange – à fusionner des sensations parfois antagonistes (élégance douloureuse, sauvagerie domestique, joie narquoise, etc.). Sa prestation ovationnée, le pianiste déplie l’unique partition du récital et, après l’intervention d’un quidam agacé – « Que les tousseurs se taisent, enfin ! » –, entame la Sonate en ut mineur Op.8 n°1 (1904) de Szymanowski.

« Je place Szymanowski, explique son serviteur, à une position de carrefour où se croisent l’héritage d’une sorte de classicisme chopinien, le langage lisztien dont il avait une grande connaissance, et une ouverture d’esprit le menant au-delà de cette veine […]. C’est une musique débordante d’énergie, de sensualité, de couleurs. Il voulait y mettre tout ce qu’il était possible d’exprimer. »

Pouvait-on attendre de la sobriété d’un créateur de vingt-et-un ans, nourri de romantisme, que Frédéric Vaysse-Knitter a enregistré par le passé ? Cependant, c’est surtout dans son premier quart que la sonate paraît touffue, profuse et fougueuse car dès le mouvement suivant, l’emballement s’adoucit, mélange élégiaque et cérémonieux teinté de timidité (Adagio). Pour un moment délicieusement primesautier, une boîte à musique joue entre prairie et sous-bois, pas loin d’un filet d’eau qui murmure un instant (Tempo di minuetto). L’œuvre s’achève avec un certain héroïsme, douloureux et entêté, que l’endormissement gagne néanmoins.

Deux bis servent de conclusion à ce récital exigeant, retransmis sur France Musique le 26 août prochain (12h35) : le fluide Poissons d’or (Debussy), annoncé avec le sourire comme un contrepoids léger et brillant à tout ce « pathos », et la Sarabande de la Partita en si bémol majeur n°1 BWV 825 (Bach), magnifique de retenue et d’intériorité.

LB