Chroniques

par cécil ameil

récital Gabriela Montero
Chopin, Liszt, Rachmaninov et Scriabine

Flagey, Bruxelles
- 17 septembre 2004
la jeune pianiste Gabriela Montero photographiée par Uli Weber
© uli weber

Disons-le tout de go : Gabriela Montero est un phénomène pianistique. Outre une virtuosité évidente qui lui permet de se jouer de toutes les difficultés, cette pianiste vénézuélienne a une énergie rayonnante et un sens rythmique remarquable dont elle tire admirablement profit, tout en se montrant incroyablement décontractée. Ainsi le concert auquel nous assistons, au Studio 1 du Flagey (pour un cycle d'enregistrements destiné à la préparation d'un CD (EMI) attendu au printemps prochain) offre-t-il de belles surprises, bien que le début de la rencontre suscite quelques réserves.

Le programme se compose de plusieurs œuvres classiques européennes et sud-américaines, mais aussi de nombreuses improvisations. En première partie, Gabriela Montero joue la Mephisto Waltz n°1 S.514 de Liszt, un Nocturne de Chopin, deux Préludes et une Étude de Scriabine ainsi qu'un Prélude, une Étude-Tableau et un Moment musical de Rachmaninov.

Conditions acoustiques de la salle ? Choix et réglage du piano ? Écoute d'un Steinway grand queue de concert depuis le premier rang ? Ou bien l’interprétation ? Peut-être tous ces paramètres contribuent-ils à cette impression nette, avant l'entracte, que le son est virulent mais fortement clinquant, que le jeu de la pianiste s’avère brutal et raide, bien que débordant d'énergie, au point de ne pas délivrer le plaisir attendu d'une « protégée » de Martha Argerich. Liszt est certes rapide et étincelant, mais assez froid et non exempt d'imprécisions (main droite parfois flottante). Chopin ne manque pas de saveur, mais un excès de pédale et une main gauche un peu en retrait ne livrent pas toutes les couleurs voulues. Enfin, si Scriabine semble plus intériorisé, l'enchaînement sur Rachmaninov paraît brutal ; les trois pièces sont littéralement tranchées avec force et beaucoup de pédale, au point de suggérer que Gabriela Montero ait la poigne sans le poignant.

Telles sont les premières impressions, toutefois tempérées à plusieurs titres. En premier lieu, il est plus intéressant d'entendre un jeu puissant et frais, même s’il est excessif, que d'assister à un maniérisme mièvre pour toute profondeur. Seulement, dans le cas présent, si l'on peut être impressionné par l'assurance d'une enfant prodige devenue une artiste encore jeune et fougueuse, l'artiste a tout de même aujourd'hui trente-quatre ans, donc plusieurs enregistrements et grands concerts derrière elle. Ensuite, à certains moments, le son du piano devient plus rond et captivant sous de ses doigts, pédale ou pas : certains passages de Rachmaninov sont particulièrement réussis, à cet égard. La seconde partie du concert confirme largement cette habilité.

Enfin – et là réside l'aspect le plus étonnant de cette soirée, en même temps qu’apparaît pleinement légitime la démarche d'enregistrer ce concert –, Gabriela Montero ose enchaîner simplement une première improvisation inattendue dans la foulée de Chopin, avant d'attaquer Scriabine immédiatement après. L’effet bénéfique sera de mettre un terme à la salve d'applaudissements qui risquerait de systématiquement accompagner chaque morceau ! Sans être exceptionnelle, cette initiative a le mérite de mettre en évidence le calme et la fluidité dont la Vénézuélienne fait preuve. Juste avant la pause, nous avons droit encore à une pièce de son crû, de facture très classique, avec contrepoint façon Bach et profusion d'ornements.

Après l'entracte, la pianiste change de registre avec, d'abord, des pièces de Manuel de Falla (Danse espagnole n°1), d’Enrique Granados (Quejas, o la Maja y el Ruisenor) et, surtout, d’Alberto Ginastera (Danzas Argentinas) dans lesquelles elle se montre particulièrement à son aise par un jeu beaucoup plus chantant (et rythmé) qu'auparavant et une maîtrise étonnante de la pédale. C’est un plaisir de l'entendre ainsi. Suivent pas moins de neufimprovisations que Gabriela Montero introduisit chaque fois en appelant le public à participer à son inspiration : en se tournant vers lui, elle demande qu’on lui donne un thème sur lequel broder. Pour le moins inhabituel dans un tel cadre, ce procédé interactif et ludique révèle la facilite avec laquelle elle intègre, spontanément, les différentes approches stylistiques des classiques (Bach, Schumann ou Schubert) dans des rythmes latino-américains (tango, jazz, etc.), et cela de manière souvent très réussie.

Le plus beau vient à la fin : deux morceaux inspirés respectivement par ses deux filles et par les souvenirs de son pays confèrent à l'interprète une chaleur et une sensualité bien différentes des premières notes entendues dans Liszt ou Prokofiev. Lui faisant cette remarque au cocktail qui s’ensuit, Gabriela Montero répond que la dureté du début et la douceur de la fin reflétaient chaque fois ses intentions traduites au clavier. Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec la Française Hélène Grimaud qui possède cette capacité de traduire directement ses intentions et émotions.

CA