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Chroniques
récital Guillaume Coppola
Chopin, Debussy, Granados, Mompou, Ravel, Satie, Scriabine, Takemitsu
En lien avec l'exposition Au-delà des étoiles (Le paysage mystique de Monet à Kandinsky) présentée au Musée d’Orsay, Guillaume Coppola propose un programme qu’il intitule Musique du silence, en référence au recueil de vingt-huit pièces composé par Federico Mompou entre 1959 et 1962, Música callada, et qu’il estimait comme le plus abouti. Est-ce paradoxe que de concevoir le son à partir de son contraire ? Le musicien catalan s’est inspiré d’un poème de Juan de Yepes Álvarez (Saint Jean de la Croix) qui lui sembla exprimer sa propre recherche de la pureté, parfois jusqu’à l’ascétisme. Le menu du jour est construit dans cet esprit, avec une quinzaine de miniatures de climat impressionniste, quoique d’époques différentes. Mompou en est le fil conducteur, avec six pièces extraites de divers opus.
Le pianiste a conçu son récital comme un voyage ininterrompu, entre 1839 et 1962, dont les enchaînements s’effectuent parfois à partir d’une résonnance commune, d’un climat, d’un motif rythmique presque identique, d’une accroche harmonique, voire d’une citation, quand ce n’est pas simplement une note demeurée en suspens. Debussy, Ravel, Satie et Scriabine, avec lesquels Mompou revendique une parenté, sont certes de la partie, mais d’autres moins attendus peut-être. Ainsi de Chopin dont il a utilisé le Prélude en mi mineur Op.28 n°4 comme squelette à un Lento, plaintif, quinzième page de sa Música callada, qui n’est en rien une variation ni une paraphrase, mais plutôt un hommage sensible, comme s’il regardait vers Valldemossa et sa chartreuse où George Sand et le compositeur passèrent l'hiver 1838-39, sur l’île de Majorque – de Barcelone, elle n’est qu’à une petite heure à vol d’oiseau. Le modèle traverse l’œuvre qui s’en va plus loin, puis Guillaume Coppola joue Chopin, dans un legato dolent où le romantisme soudain surgit.
Auparavant, il ouvre ce Lunchtime par la première pièce du recueil, Angelico, qui d’emblée donne envie de se téléporter jusqu’en la savante pénombre du Palau Güell, pour l’y écouter mieux encore. Dépouillé de toute superbe, ce morceau tendre s’articule humblement autour d’une mélodie d’archaïque tournure. Après le Prélude de Ravel (1913) qui, en douceur, insuffle plus de sensualité dans la rêverie nocturne, un Mompou jeune avec le Prélude n°5 (1927-30), alternant méditation languide et sourire dansé, jusqu’à une résolution exotique. Sans lambiner, la Gymnopédie n°1 de Satie (1888) a quelque chose de dru sous les doigts de Coppola, ce qui révèle d’autant mieux son impact litanique. La sévère déclaration auto-interrogative du Prélude en mi bémol majeur Op.16 n°4 de Scriabine (1895) vient contraster cette sorte de confort. L’aphoristique conclusion gagne une profondeur qui laisse songeur.
Entre 1952 et 1960, Tōru Takemitsu commence à vingt-deux ans une œuvre inspirée du surréaliste japonais Shūzō Takiguchi – un an plus tôt, il intitulait déjà Distance de fées une page pour violon et piano, selon le même écrivain qui le fascina durant sa jeunesse. En trois épisodes, Uninterrupted Rests paraîtra chez Salabert en 1962. Comme dans la majeure partie de son travail, une forte influence française s’y laisse déceler. Délaissant Slowly, sadly and as if to converse with et quietly and with a cruel reverberation, l’interprète met la troisième au cœur de son récital, A song of love dont le mi initial se greffe dans la résolution du prélude de Chopin. Assez mobile en son apparent statisme, ce bref mouvement conjugue le Scriabine des Poèmes et le Messiaen des Préludes tout en concluant par un trait qu’on pourrait croire emprunté aux trois Viennois.
Puis la Gnossienne n°5 (Satie, 1889) se balade nez en l’air, dans une obstination lyrique – c’est vers cette façon d’imaginer la musique que lorgnent depuis quelques années de nombreux compositeurs du cinéma. Le centre de la dernière reprise de la ritournelle, si bellement nuancée, est malheureusement parasité par une sonnerie de téléphone – ce serait donc inévitable, vraiment ?... Retour à Federico Mompou avec Impressiones intimas écrit entre 1911 et 1914 pour le pianiste Agustín Quintas, puis révisé en 1959. Le n°2, Secreto, bénéficie d’une approche délicatement colorée, avec ses miroitements en demi-teintes. Assez simple, le matériau emploie une mélodie mélancolique où s’entend une guitare, avec un balancement dolent dont on ne sait s’il s’assoupit dans la touffeur d’une nuit d’été ou s’il veille, esseulé dans la tristesse. Guillaume Coppola pose tranquillement notre écoute sur l’opalescence lointe de Claire de Lune de Debussy (1890), qui entame la Suite bergamasque achevée en 1905. Le toucher s’alanguit en une contemplation heureuse, par-delà le papillonnement conclusif.
Música callada, encore, avec son Moderato (n°4), motif carillonnant qui se déplace dans le clavier, bientôt habité par un lyrisme discret. Outre un je-ne-sais-quoi de Satie, cette page laisse poindre une réminiscence romantique avant de s’éteindre en paix. Né un quart de siècle avant Mompou, aux confins de la Catalogne et de l’Aragon, Enric Granados publie douze Danzas españolas entre 1892 et 1900. De cet opus qu’il a gravé chez Eloquentia en 2012, l’artiste donne aujourd’hui le deuxième épisode, Oriental, dont il rend tellement fluides les ornements. Au mystère du premier motif répond une mélopée perpétuelle, dans un phrasé subtil, recouverte par la reprise du prélude. On retrouve cette forme A-B-A dans le Prélude n°7 de Mompou, Palmier d’étoiles, à ceci près que le programme quitte alors l’intimité et l’introspection pour revenir au monde, pour ainsi dire. Commencé deciso, en déflagration farouche, Palmier d’étoiles est résolument virtuose et d’une fougue toute scriabinienne. Feux d’artifice, le dernier des Préludes de Debussy (Livre II, 1912), conclut ce beau moment dans la piqure hésitante puis les velours, soies et taffetas, autant d’étoffes à étincelles qui évoquent braises et fusées. La réminiscence fragmentée de l’hymne national déserte la nuit… peu avant le désastre.
En bis, Guillaume Coppola, dont nous avions salué d’une Anaclase! le fort bel album Schubert [lire notre critique du CD], offre La fuente y la campana (La fontaine et la cloche, 1942), extrait des Paisajes de Mompou, en rappelant que le grand-père du compositeur était maître saintier. Il dessine une eau follette en son scintillement ensoleillé et une cloche sérieuse, personnages que rassemble une sorte d’antienne recueillie. On n’ose en redemander…
BB