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Chroniques
récital Isabelle Faust
œuvres de Bach, Bartók et Jolivet
Cette année, le Festival Messiaen au Pays de la Meije concentre son édition sur un hommage à Jeune France en général, un hommage qui s’intitule plus précisément Musique des années trente en mouvement (Messiaen, Jolivet, Baudrier, Daniel-Lesur). À travers quatorze concerts en dix jours, le public entendra de jeunes musiciens comme Marc Mauillon, Winston Choi, Markus Bellheim ou Isabelle Cals, dans la musique des compositeurs fêtés, bien sûr, mais non exclusivement, puisque seront également joués leurs aînés et leurs contemporains – Berg, Bartók, Debussy, Cras, Martin, etc. –, ainsi que Beau calme (1973), Cité de la nuit (1991) et les Six premières études (1986-2004) de Jacques Lenot dont le Quatuor Meije créera vendredi Un froissement, très loin, de l’air.
Quelques heures après le récital du pianiste chinois Chuan Qin [lire notre chronique du jour],Isabelle Faust donne rendez-vous aux festivaliers qu’elle plonge directement dans l’Adagio extrêmement recueilli de la Sonate en ut majeur BWV 1005de Johann Sebastian Bach, donnée en toutes simplicité et évidence. Elle joue la Fugue dans un dosage minutieux et fort intérieur, et en révèle la lumière en libérant peu à peu un certain lyrisme. De même prend-elle le risque d’une sonorité un rien précarisée dans le début du Largo, progressivement mené jusqu’à une vibration plus affirmée. Infiniment nuancé, l’Allegro assai arbore un grand raffinement, toujours magnifiquement équilibré. Le charme est plus grand encore en fin de récital, lors de l’exécution de la Partita en ré mineur BWV 1004, servie par une grande égalité de la ligne sonore (Allemande, notamment), et qui propose une Courante discrètement angoissée avant une Sarabande exquisément italienne.
Conformément au mot d’ordre du programme 2005, Isabelle Faust joue l’Incantation sur la corde de sol qu’André Jolivet écrivit en 1937, dont le sous-titre est Pour que l’image devienne symbole. Aussi brève que soit cette pièce, on y constate ce même engagement de la violoniste apprécié cet hiver dans le Concerto [lire notre chronique du 19 janvier 2005]. Son interprétation se nourrit d’une pâte généreuse.
Entre Bach et Jolivet, l’artiste contraste copieusement la redoutable Sonate Sz.117 de Béla Bartók, tout en entretenant une surprenante égalité de sonorité, dans une approche moins âpre qu’on s’y serait attendu. Elle affirme fermement un parti pris plus sinueux que ceux de ses confrères, propre à attirer l’écoute dans un puits. Au fur et à mesure de la Chaconne, souffrant de légers soucis de justesse, le son gagne une fascinante épaisseur que vient enrichir une couleur presque luxueuse. Différentiant nettement les « personnages musicaux », Isabelle Faust mord le relief de la Fugue sans que cette relative agressivité, du reste intrinsèque à l’écriture de Bartók, jamais n’en soit disgracieuse. Le caractère incantatoire offert à la Mélodie, longue méditation dont la parenté avec les autres mouvements s’exprime dans les moments d’harmoniques flûtées, s’en trouve d’autant contrasté, un mouvement qui s’achève en préservant bien scellés ses secrets. Le Presto nous fait nous souvenir de Ce que la mouche raconte (des Mikrokosmos), avant d’affirmer un caractère franchement populaire et festif où se retrouvent les intervalles du début du premier mouvement, cette fois parfaitement assurés.
À ce fort beau moment de musique succèderont, toute cette semaine, de nombreuses raretés – comme le Concerto pour flûte et cordes, le Concerto pour harpe et orchestre de chambre et Épithalame de Jolivet, des Mélodies du plus rare Yves Baudrier (1906-1988) ou les Interludes pour quatre ondes de Jean-Yves Daniel-Lesur –, avant que de retrouver les crêtes dans un an pour une nouvelle édition consacrée à Messiaen, le rythmicien où quelques musiciens indiens côtoieront l’œuvre du maître et les créations qu’actuellement Michèle Reverdy et Tristan Murail, composent tout exprès pour l’évènement.
BB