Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Ivan Moravec
œuvres de Beethoven, Brahms, Debussy et Janáček

Piano**** / Salle Gaveau, Paris
- 24 janvier 2005
Ivan Moravec, poète du piano, en récital à la Salle Gaveau (Paris)
© dr

Un grand poète du piano enchante le public parisien : Ivan Moravec ouvre son récital avec Dans les brumes, la courte suite écrite par Leoš Janáček en 1911-1912. Rien à voir avec ce que le vaillant Florent Boffard proposait il y a quelques jours au Théâtre du Châtelet : à l'expressivité tragique de l'un répond la pudique mélancolie de l'autre. L'interprétation du pianiste tchèque est intérieure, parfois méditative ; elle fuit tout spectacle et murmure certains traits dans une délicatesse toute personnelle du toucher.

Un tel raffinement n'est pas pour desservir la musique de Debussy, bien sûr. Aussi les Estampes sont-elles à peine effleurées, de cette lumière indirecte avec laquelle on regarde les encres fragiles. Pagodes se fait calme évocation aux bains presque délavés, La soirée dans Grenade respire plus amplement, comme les passions épuisées de soleil abandonnée de toute sensualité, tandis qu'une fluidité un rien nerveuse invite à profiter à l'abri des Jardins sous la pluie. Après des Collines d'Anacapri lourdes de mystères, Feux d'artifices brille d'une sonorité plus orchestrale, dans une sorte de simplicité naturelle qui exclut toute idée de performance – voilà qui aurait fait plaisir au compositeur, ennemi des « dresseurs de fauves »et autres phénomènes.

Le seconde partie débute par l'Intermezzo en si bémol mineur Op.117 n°2 de Johannes Brahms, dans un climat douloureux, retenu, là encore très intime. Pour chaque compositeur Ivan Moravec construit un son particulier, dans un profond respect et une parfaite connaissance de son univers. Une sensibilité discrète et un long métier amènent avec évidence un Capriccio Op.76 n°2 faussement léger, alors que Rhapsodie en sol mineur n°2 trouve une pâte plus grasse.

Pour finir, nous entendons l'Appassionata, autrement dite Sonate en fa mineur Op.57 n°23 de Beethoven. Vigoureuse, parfois même farouche, la lecture de ce soir révèle une énergie que les pièces précédentes ne laissaient pas soupçonner. Toutefois, le choix de cette page semblera moins heureux. Après avoir captivé un public étonnement silencieux, Ivan Moravec lui offre une miniature de Chopin, sèchement ornée et sans manière, puis une Ondine de rêve.

BB