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Chroniques
récital Jack Liebeck
œuvres de Brahms, Elgar, Mozart et Pärt
L’idée est généreuse : encourager de jeunes artistes en leur offrant la possibilité de s’exprimer lors de concerts au Château de Chillon, constituant ainsi une série Découvertes, autre pôle de la programmation du Septembre musical de Montreux, en collaboration avec l’Académie de Verbier. Le récital du violoniste britannique Jack Liebeck est le quatrième rendez-vous avec cette nouvelle génération de musiciens, après les soirées de la violoncelliste Natalie Klein et des pianistes Kirill Gerstein et Evgueni Sudbin [lire notre critique du CD]. Signalons que ces concerts sont particulièrement fréquentés, tant parce que le public est curieux de rencontrer les solistes de demain qu’il l’est de vivre l’expérience musicale dans un cadre aussi charmant. Outre le mystère millénaire d’une silhouette posée sur l’eau qui inspira Byron (The prisoner of Chillon, poème de 1816) autant qu’Hugo, Rousseau, Dumas ou Shelley, le Château de Chillon, largement remanié entre les XIIe et XIVe siècles (résidence d’été des comtes de Savoie), possède plusieurs belles salles susceptibles d’accueillir des moments musicaux. Ce soir, les auditeurs n’hésitent pas à s’asseoir près des immenses fenêtres pour admirer un coucher du soleil à peindre en écoutant Brahms.
Né à Londres il y a vingt-cinq ans, Jack Liebeck se met au violon dès 1987. Rapidement admis à la Purcell School of Music, il se distinguera à l’âge de onze ans dans le Concerto en mi bémol majeur Op.6 n°1 de Paganini. Après une tournée avec le New Sinfonietta Amsterdam, l’adolescent se produit aux côtés du Hallé Orchestra, de l’Orchestre Philharmonique de Belgrade, du London Philharmonic Orchestra puis du Royal Scottish Orchestra. Bien que demeurant hostile aux étiquettes, Tobias Richter, directeur artistique du festival lémanique, souhaite axer dès l’an prochain sa programmation sur le violon et l’alto : le récital d’aujourd’hui pourrait se faire l’ange annonciateur d’un tel vœu.
Est-ce bien raisonnable d’ouvrir un concert par la Sonate en mi bémol majeur K380 de Mozart ? Mais est-on raisonnable à vingt-cinq ans ?... Dieu merci, non ! Sous cet archet l’on goûte dès l’Allegro un chant facile, traversé d’une véhémence intéressante, moins inspirée pourtant dans l’Andante (d’ailleurs confondu avec un adagio) dont n’est pas suffisamment nourri le legato. L’artiste n’est guère aidé par un pianiste souvent brutal qui articule l’œuvre sans secret ni travail de sonorité. Les plus grands l’ont dit : pour jouer Mozart au piano, il faudrait se prendre pour un violoniste ; sans doute personne jamais ne le dit-il à Kotaro Fukuma dont le jeu, pour non dénué de nuances et techniquement impeccable qu’il soit, demeure d’une raideur peu gracieuse.
L’univers de la Sonate en ré mineur Op.108 n°3 de Brahms convient nettement mieux à Jack Liebeck. Le son prend enfin sa place, la phrase s’exprime avec évidence, une sensualité sans surlignage dont on salue l’omniprésente élégance. Le caractère impétueux de l’approche du violoniste est un bel avantage dans l’Allegro alla breve, de même que le lyrisme naturel de son jeu sert au mieux les trois autres mouvements. Bonne nouvelle : le pianiste s’assouplit peu à peu et fait preuve d’une pédalisation parcimonieuse et bien vue.
Après Fratres de Pärt, les jeunes gens donnent une fort belle interprétation de la rare Sonate en mi mineur Op.82 d’Elgar dont ils dessinent avec poésie le postromantisme de l’Allegro et cisellent la mignardise de la Romance dans un sucre délicat qui n’aurait pas déplu à Kreisler. Colorant enfin le très lyrique Allegro non troppo final, ils signent une exécution d’une grande égalité dont l’énergie jamais ne chute. En bis, ils remercient le public par une Méditation de Thaïs glamour à souhait.
Pour finir, ces quelques mots de Tobias Richter :
« Il est tout à fait sûr que je ne donnerai jamais une direction réductrice au festival, de même que ne s’y joueront jamais d’opéras sans mise en scène. L’idéal serait de commencer par ce que les anglais appellent Early musicet d’avancer au fil d’une programmation jusqu’à la musique contemporaine, et plus précisément la création. Le fait que l’atelier musical de Mauricio Kagel soit présent dans l’entrée de l’Auditorium Stravinsky suscite un intérêt particulier de la part du public qui anticipe la manifestation. Mais cela ne suffit pas : j’aimerais que les compositeurs viennent systématiquement à Montreux. L’an prochain, nous recevrons György Kurtág. Par ces choix, j’essaie de limiter la représentation d’une seule esthétique. L’an, prochain, le Septembre musical fêtera ses soixante ans, et Jazz à Montreux ses quarante : aussi tenterons-nous d’imaginer une visite mutuelle…». À suivre…
BB