Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Jean-Frédéric Neuburger
œuvres de Farrenc, Heller et Schumann

Auditorium du Louvre, Paris
- 6 janvier 2005
récital du pianiste Jean-Frédéric Neuburger à l'Auditorium du Louvre
© dr

Née à Paris le 31 mai 1804 dans une famille d'artistes, Louise Dumont choisit la musique plutôt que la sculpture ou la peinture qui jusqu'alors avaient été les médiums artistiques de son ascendance. Encore presque adolescente, elle se produit en tant que pianiste virtuose et s'engage tôt dans des études de compositions. À dix-sept ans, elle épouse le flûtiste Aristide Farrenc. La créatrice honore en premier lieu son instrument et ne se tourne vers la musique de chambre et la symphonie qu'aux abords de la quarantaine, sans jamais imaginer d'écrire pour le théâtre. Robert Schumann salue son art à propos de L'air russe Op.17 que nous entendons à ce midi du Louvre. Au XIXe siècle, une femme compositeur est une figure étonnante. Elle s'imposa par un style rencontrant assez heureusement les aspirations de son temps, tout en exerçant son influence sur plusieurs générations de pianistes, puisqu'elle enseignerait trente années durant au conservatoire de Paris. Elle a également publié Le trésor des pianistes, impressionnante anthologie de près de quatre siècles de musique pour clavier, deux méthodes (l'une à l'usage de l'apprenti pianiste, l'autre destinée aux enseignants) et une biographie de Muzio Clementi. Après sa mort (septembre 1875), son œuvre est peu à peu oubliée.

Il y a quelques années, ce sont les orchestres allemands qui les premiers opérèrent de furtives résurrections. À la tête de l'Orchestre de Bretagne, Stefan Sanderling dirigeait un cycle, il n'y a pas si longtemps. Aujourd'hui, l'Auditorium du Louvre s'atèle à une redécouverte d'envergure, puisqu'en sept concerts près d'une vingtaine d'œuvres seront présentées au public, éclairées par une mise en regard avec de grandes pages schumaniennes. Hier soir, le premier rendez-vous fit entendre le Trio en mi bémol majeur Op.33 et la Sonate pour violon et piano en ut mineur Op.37, tandis que le pianiste Jean-Frédéric Neuburger ouvre maintenant son récital par trois études de 1839, extraites de l'opus 26.

Récompensé par de nombreux prix (Bärenreiter, Académie Ravel, concours d'Ettlingen, Jean Françaix, Long-Thibaud, etc.), ce jeune musicien débute une carrière déjà largement saluée. Dans ce récital, l'Étude en mi bémol mineur Op.27 n°17 bénéficie d'un jeu généreusement fluide, ladix-huitième(ré bémol majeur) se pâme un rien, dans une nuance délicate et tendre, alors que lavingt-septième (sol mineur) souffre d'une indifférenciation manifeste des plans sonores et d'une raideur d'articulation vainement masquée par une pédalisation systématique et brouillonne. À la Mélodie en la bémol majeur de 1846 le pianiste accorde un travail plus raffiné, sans pour autant lui révéler une portée capable de dépasser le ton d'aimable romance « à l'eau de rose »qui la caractérise. L'Air russe (évoqué en préambule) affirme une écriture moins futile qu'un jeu irréprochable ne parvient cependant pas à transcender.

Incontestablement, l'Arabesque Op.18 de Robert Schumann lui sied plus. Par une approche concentrée, précise jusqu'en ses rêveriesun peu molles, Jean-Frédéric Neuburger honore le début de réputation qu’on lui fit. En revanche, sa lecture des Kreisleriana Op.16 est digitalement brillante, obéit à la lettre aux indications (pas si mal), mais sans atteindre l’esprit et encore moins transmuer jusqu’à l’interprétation. Le résultat est conventionnel, sans profondeur, copieusement ennuyeux. Tout ce qui manque là se trouve enfin dans un bis à travers lequel le jeune homme affirme avantageusement ses qualités : son exécution passionnante de l’Étude sur des thèmes du « Freischütz » de Weber du Hongrois Stephen Heller laisse deviner un tempérament qu'on aurait aimé plus présent dans le vif du sujet.

BB