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Chroniques
récital Jessica Pratt
airs de Donizetti, Rossini et Verdi
Deux semaines après l’avoir entendu au Festival della Valle d’Itria [lire notre chronique du 30 juillet 2020], nous retrouvons le soprano Jessica Pratt au Rossini Opera Festival de Pesaro (ROF), dans des conditions bien différentes. Cette fois, elle chante seule et non plus en compagnie du ténor Xabier Anduaga, accompagnée par un orchestre à la place du piano de Giulio Zappa, et le concert est ici sonorisé. En raison de la pandémie du Covid-19, le ROF a dû revoir profondément sa programmation et proposer des concerts en extérieur, sur la vaste Piazza del Popolo. Ce n’est pas une première, de très grands artistes s’étant produits dans les mêmes conditions lors des éditions 1986 et 1987 – Marilyn Horne, June Anderson, Luciano Pavarotti, Montserrat Caballé, Francisco Araiza et Katia Ricciarelli… excusez du peu ! Autres temps et distanciation sociale oblige, le public est clairsemé, et pas seulement en raison de la neutralisation de deux sièges tous les quatre.
La logistique d’accueil du public est fort bien réglée, mais la qualité de silence simplement correcte : l’endroit est situé en plein centre-ville piétonnier, ce qui a le mérite de proscrire les bruits de circulation automobile, sans échapper aux cris d’un enfant (à qui l’on n’a pas acheté de glace ?), au bip-bip de recul d’un camion-poubelle ou aux conversations parfois peu discrètes du personnel de sécurité, sur le pourtour des rangs. Absolument nécessaire dans un tel lieu, la sonorisation est probante, mais ce son restitué par de puissants haut-parleurs perturbe évidemment l’appréciation de l’auditeur en comparaison de celle d’un théâtre fermé, en particulier pour ce qui concerne les nuances qui perdent souvent en contraste. L’amplification de la chanteuse est très appréciable, mais ne met pas en valeur l’orchestre.
Dès l’Ouverture d’Il signor Bruschino, la Filarmonica Gioachino Rossini montre quelques petites faiblesses dans la virtuosité des soli aux bois et l’homogénéité des cordes, imperfections fortement accentuées par la sonorisation. Ensuite, l’air En proie à la tristesse tiré du Comte Ory est particulièrement réussi : somptueuse articulation du texte, notes bien détachées, extensions faciles vers l’aigu et ajout de variations dans la reprise. Tout juste détecte-t-on une petite tension sur certains aigus, et une cohésion rythmique pas toujours naturelle entre soliste et orchestre. Il faut dire que les tempi impulsés par Alessandro Bonato ne semblent pas forcément les meilleurs : ils induisent un Rossini peu dynamique, sans grand relief et le plus souvent trop lent, comme dans l’Ouverture de Tancredi qui s’ensuit, puis le grand air d’Amenaide, Giusto Dio che umile adoro, où le soprano gagne en assurance et délivre à nouveau des variations fort inspirées dans la reprise de la cabalette. Après l’Ouverture du Siège de Corinthe, l’air de Pamyra, Ô patrie infortunée, expose une nouvelle fois les qualités de la chanteuse, d’abord une autorité certaine dans le récitatif, une séquence lente interprétée legato sur le souffle, puis un grand abattage dans la cabalette finale, ainsi qu’une bonne intuition musicale qui lui est d’un grand secours pour gérer et rattraper, au besoin, les petits décalages avec l’orchestre.
Rossini laisse la place à Donizetti qui convient davantage à la formation instrumentale et son chef, ceux-ci mettant en effet plus d’animation dans l’Ouverture de Don Pasquale. La cavatine Quel guardo il cavaliere montre, sur les deux écrans vidéos géants, une Norina aguicheuse, avec petit clin d’œil par-ci par-là, la voix restant suffisamment légère pour coller au personnage, entre notes piquées et passages d’agilité. La fille du régiment convainc également, avec le conclusif Salut à la France interprété avec panache et brillant. Verdi prend le relais avec la scène finale du premier acte de La traviata, un È strano émouvant malgré la difficulté à trouver d’entrée l’intonation parfaite entre orchestre et soliste, puis un Sempre libera totalement maîtrisé, y compris le dernier suraigu, facile pour la chanteuse (mi bémol de tradition, non écrit par Verdi). En unique bis, retour de Donizetti avec un air pour pur soprano colorature, O luce di quest’anima extrait de Linda di Chamounix, domaine où excelle Jessica Pratt qui déclenche un véritable feu d’artifice d’aigus et de suraigus.
IF