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Chroniques
récital Jonas Vitaud
œuvres de Debussy, Dutilleux et Fauré
Avec sa gentille quarantaine de rendez-vous, qui vont du récital d’une heure au grand concert symphonique, Lille Piano[s] Festival peut s’enorgueillir d’offrir au public trois jours de robuste intensité pianistique, investissant quelques huit lieux de la ville – des lieux pas toujours idéalement appropriés à la musique, nous y reviendrons. Si les concerti de Beethoven par François-Frédéric Guy et l’Orchestre national de Lille, à l’initiative de la manifestation, constituent la face la plus visible de l’iceberg, nous voilà engagés dans un parcours de récital moins attendus que ses menus rendent également possible.
Ce vendredi nous concentre au seul Théâtre du Nord pour deux moments aux antipodes l’un de l’autre. Après le programme Long Walk de Francesco Tristano Schlimé, qui entrelace des danses de Buxtehude et la Partita en sol majeur BWV 829 n°5 de Bach à ses propres compositions mollement new age de piètres facture et pensées, nous abordons le Prélude à la nuit concocté par Jonas Vitaud.
Une grande délicatesse d’articulation et une sonorité infiniment travaillée s’imposent d’emblée dans le Nocturne en si majeur Op.33 n°2 de Gabriel Fauré. Après une introduction infléchie en rêverie, un risoluto se dessine fermement, sans brutalité aucune, cependant. Une lumière envoûtante gagne la deuxième partie de la pièce, dans une remarquable fluidité, avant une conclusion qui en porte le chant dans une exquise tendresse. S’ensuit le Nocturne en mi mineur Op.107 n°12 et sa grâce mendelssohnienne qui tuile hardiment l’harmonie. L’interprétation se révèle des plus inspirées, sans déroger à une rigueur musicale de grande tenue qui bientôt conduit à un spleen palpable. Les premiers pas de la nuit se concluent dans le phrasé soigneusement perlé du Nocturne en ré bémol majeur Op.63 n°6, grande mélodie caressante à l’hésitation parfois orchestrale que Jonas Vitaud fait progresser vers une emphase infiniment mélancolique. Pour être musclé, son abord de la section en pluie debussyste demeure ciselé, enveloppant bientôt toute véhémence dans la suave réminiscence des berceaux initiaux.
D’une pédalisation choisie et d’une frappe à l’élan sagement mesuré, le pianiste colore savamment les saveurs de La soirée dans Grenade, deuxième des Estampes de Debussy. Une sensualité à la fois timide et bel et bien présente habite une lecture inventive qui veille minutieusement aux effets sans s’y pâmer jamais.
Bel hommage rendu, pour finir, à Henri Dutilleux qui nous quittait il y a quelques semaines, à travers une exécution subtilement expressive et de fraîche vivacité de la Sonate Op.1, conçue entre 1946 et 1948 pour son épouse Geneviève Joly. La mélodie un peu soûle de l’Allegro con moto lorgne poliment vers Milhaud avant de rejoindre une autre modernité, aux accents par moments assez futiles, tout de même (n’est-ce pas en ces mêmes années que le tout jeune Boulez écrivait ses Notations, par exemple ?...). Jonas Vitaud suggère des timbres, dans le grave violoncelle du piano comme dans un aigu boisé et des médiums qu’il cuivre d’une certaine opulence. La reprise du thème est conduite par une dynamique dont la fascine la précision, jusqu’à des déclinaisons au grand suspens exultant. Le Lied médian traverse des demi-teintes suaves. Abandonnant définitivement ce côté « plainte calme », peut-être contaminée par un certain prélude alors adolescent de Messiaen, surgit un Choral en volées campanaires dont le chant s’apparente à la Sonatine monodique d’Ohana (1944). Le jeu de Vitaud s’affirme riche et généreux sans être inconsidérément dispendieux ni cérébral pour autant. Aux Variations d’enfin conjuguer Prokofiev, Messiaen et Copland, mais encore d’emporter d’enthousiasme une salle qui fait grand succès à l’interprète.
En bis, Jonas Vitaud livre un Clair de lune plus passionné que de coutume, en rien effacé, « liquide » ou poli ; les nuits de pleine lune sont de crimes, bien sûr !
BB