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Chroniques
récital Julie Fuchs et Alphonse Cemin
Barbara, Björk, Crumb, Debussy, Lavandier, Porter et Poulenc
Amis dans la vie, le soprano Julie Fuchs et le pianiste Alphonse Cemin ont participé tous deux à l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence, elle en 2009 et 2010 pour lui. Ils ont bien progressé dans leur carrière depuis, et déjà collaboré artistiquement. Le programme de la soirée démarre avec la chanson de Barbara Une petite cantate, très bien articulée mais dans un volume un peu discret malgré la présence d’un micro devant la chanteuse. Puis c’est au tour de Claude Debussy avec ses Ariettes oubliées, cycle de six mélodies sur des textes de Paul Verlaine. C’est l’extase met plus en valeur l’ampleur de la voix, mais dès Il pleure dans mon cœur, on détecte un vibrato développé sur certaines notes tenues à mezza voce, marquant des oscillations un peu trop généreuses. L’accompagnement au piano est sensible et s’affirme avec un fort caractère, mais non ostentatoire, beau délié et toucher très sûr. Les deux dernières mélodies, Aquarelles, 1 : Green et 2 : Spleen, sont interprétées avec entrain, d’abord, puis délicatesse.
Retour à Barbara avec Le chant du lilas qui n’est pas inoubliable ; on lui préfère Toi l’homme pour lequel la chanteuse s’assied sur le tabouret du pianiste en indiquant justement « se rapprocher de l’homme ». Sont insérés entre les deux chansons Trois poèmes de Louise de Vilmorin de Francis Poulenc (Le garçon de Liège, Au-delà, Aux officiers de la garde blanche), très bien chantés, dans une exécution tour à tour coquine puis émouvante et triste. La première partie se termine avec des pièces du compositeur contemporain Arthur Lavandier (né en 1987) [lire notre chronique du 31 janvier 2014]. C’est d’abord Le livre (I), pièce de dix minutes environ au piano seul, une partition extraite de son premier opéra, De la terreur des hommes. Toute la technique pianistique est passée en revue : d’abord deux doigts qui frappent avec énergie, de la même main puis des deux, des passages plus mélodieux où toute l’étendue du clavier est explorée, avec pédale ou sans, de grands accords plaqués qui succèdent à des séquences plus virtuoses, l’ensemble séduisant l’oreille. Arrive ensuite, en création mondiale, une partie vocale accompagnée au piano : Le chant des accusées, dont le texte est la minute de procès de femmes au XVIIe siècle. L’écriture est exigeante aussi bien pour le piano que pour la voix, avec quelques grands écarts à négocier. Les six mélodies sont variées dans leur texture musicale, et de longueur très différentes : la cinquième, De la messe au bordel, il n’y a qu’un pas, ne dure que quelques secondes, tandis que la sixième, Diable diable diable foudre foudre tempête, la plus longue et la plus lyrique, donne l’occasion d’entendre une voix complètement épanouie à pleine puissance, faisant passer l’émotion dans un « je mourrai innocente » conclusif, chanté comme avec des sanglots dans la voix.
Après l’entracte, la seconde partie est américaine. Entamée avec Sun in my mouth, chanson de Björk, elle enchaîne avec Apparition de George Crumb (né en 1929). La composition de ces six mélodies est très originale, les cordes du piano sont jouées à l’intérieur de la caisse, tantôt frappées, grattées, frottés, imitant souvent le son de la harpe ou du clavecin [lire notre critique du CD]. La première possède une couleur orientale, les modulations de la voix étant rendues avec souplesse. Dans son introduction la deuxième imite des bruits animaux, le hibou, des oiseaux, puis la suivante évoque fortement le clavecin pendant que la voix varie entre chuchotements et aigus vocalisés. La quatrième est la plus vaillante, la cinquième propose des ambiances étranges, et enfin la dernière avance des sonorités à la Ravi Shankar, les cordes grattées rappelant son sitar, avant que le son s’amenuise et se perde. Pour terminer avec plus de légèreté, comme l’indique Julie Fuchs, trois chansons de Cole Porter sont proposées, où l’on détecte encore des problèmes de stabilité vocale, compensés par une forte présence en scène et un grand naturel.
En bis, Una voce poco fa de Rossini est interprété avec goût et technique – …le piano qui a un peu de mal au démarrage ! –, puis la soirée se conclut avec Apparition de Debussy, sur un poème de Mallarmé.
IF