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Chroniques
récital Luca Pisaroni
œuvres de Liszt, Meyerbeer, Rossini et Schubert
Curieux récital, à bien y regarder. Du Lied allemand ? Oui, mais des Schubert italiens, peu connus, et pour cause. Ensuite, du Meyerbeer en forme de gageure et un Liszt inespéré, en marge des Lieder « grand style » mais de loin la partie la mieux réussie. Les Rossini glissés au débotté font bonne figure et rappellent par leur atavisme que la voix qui sonne ici est bel et bien italienne mais pas pour autant insensible au charme des brumes septentrionales…
Luca Pisaroni est un habitué des lieux, mais d'ordinaire il fréquente la grande scène et non l'Amphithéâtre. Son Figaro dans la mise en scène de Strehler avait marqué la saison 2010, son retour en Almaviva cette année a prouvé qu'on n'était pas au bout de ses surprises et qu'il réaliserait dans l'avenir de belles promesses.
Pour l'heure, nous devrons nous contenter d'un lieu qui ne lui rend pas forcément justice et de la compagnie du bien fruste piano de Justus Zeyen. L'entame a du mal à décoller, malgré la curiosité que constituent ces exotiques Lieder de jeunesse de Schubert dont la langue de Métastase trahit la révérence au maître Salieri. On a du mal à entrer dans ces textes à l'humour engoncé (Il modo di pender moglie) dont les mots restent dans la gorge et n'en sortent que pour mieux disparaître sous le piano inutilement pointilliste (L'incanto degli occhi). Il faut attendre le monologue délirant et le texte remarquable d'Il traditor deluso pour que la voix prennent enfin de l'ampleur et roule un romantisme noir avec des changements de registre encore un peu appuyés. En comparaison, le même Métastase mis en musique par Rossini (La promessa et il Rimprovero) paraîtra bien peu italien. Le bouquet de mélodie semble privé de flamme, presque trop sérieux pour qu'on puisse penser qu'il est de la plume du maître de Pesaro (L'Orgia).
Avec la seconde partie se profilent enfin les bonnes surprises.
Meyerbeer, tout d'abord. La voix du baryton-basse trouve parfaitement ses marques dans la désuétude nostalgique des poèmes d’Heinrich Heine ou Michael Beer. On retient surtout Menschenfeindlich (Misanthropie) pour la subtilité de l'écriture qui fait s'enrouler le piano comme un pampre autour d'une voix parcourant toute l'étendue des registres. Jamais spectaculaire à l'envi, les mélodies du héraut oublié de l'opéra français du XIXe siècle s'inscrivent dans la plus pure tradition allemande, caractère parfaitement rendu par Pisaroni qui se joue de certaines chausse-trappes de prononciation assez redoutables.
Avec les mélodies de Liszt, le récital prend une tout autre tournure.
Im Rhein im schönen Strome n'a rien à envier à la version qu'en donna Schumann. La voix est à présent totalement investie dans le contrôle de la lisibilité du texte et le coloris du timbre. Il faut entendre des phrases aussi anodines, en apparence, que « …die Augen, die Lippen, die Wänglein… » pour goûter les pleins et déliés que le baryton exprime avec un fini et un rendu impeccables. Vergiftet sind meine Lieder ne commet pas l'erreur d'une agressivité trop théâtrale. Les lignes se resserrent comme pour mieux traduire cette oppression passagère qui étreint l'auditeur. On obtient dans O lieb, so lang du lieben kannst un condensé expressif remarquable. Les attaques tendent à partir légèrement en dessous avant que la phrase ne trouve son pur équilibre, malgré des graves peu idiomatiques mais très legato. C'est généralement lorsque la tension se relâche que l'émission se fait suave et permet le travail de la couleur (Die Vätergruft, littéralement bluffant).
Les redoutables Sonnets de Pétrarque s'élèvent, tel un formidable défi, à la conclusion de ce récital. Sans faire oublier ses illustres aînés, la prestation de Luca Pisaroni impressionne. Un autre pianiste l'aurait certainement poussé dans ses retranchements pour arracher le meilleur d'un timbre qui magnifie son expression dans la contrariété.
Le bis consenti (An die Musik) fait regretter l'insistance du public à l'obtenir. La tentative de dissimulation des inflexions italiennes sous le tapis de quelques voyelles excessivement germanisées ne prend pas – seul pêché d'orgueil d'une soirée qui sut éviter bien des pièges.
DV