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Chroniques
récital Ludovic Tézier, accompagné par Maria Prinz
Giordano, Liszt, Mozart, Schubert, Schumann, Tchaïkovski et Verdi
Tout en simplicité – et en français dans la continuité linguistique avec Histoire du soldat de Stravinsky, si intense la nuit précédente, grâce surtout à l’abattage du comédien Sébastien Dutrieux dans un triple rôle audacieux –, voici que Ludovic Tézier entame son récital fort attendu à Peralada, chez Victor Hugo et par Ferenc Liszt, tout d’abord, avec la chanson S’il est un charmant gazon. Au rythme serein du piano de Maria Prinz, la qualité du legato est déjà saisissante, tandis que la douceur de cette vignette amoureuse est bien assurée par la rondeur de l’émission jusqu’à un savoureux glaçage final couvrant de fraîcheur duvetée « le nid où ton cœur se pose ». Dans la même veine romantique liant Hugo et Liszt, Comment, disaient-ils éclate d’abord avec vigueur sur le clavier. Puis, dans un élan savamment maîtrisé, quelques accents d’antan résonnent. À chaque questionnement s’anime l’esprit un peu bravache et toujours demeure le plaisir du vers, jusqu’au tout dernier, osant alors donner un effet spectaculaire à l’injonction d’aimer. Le calme petit triptyque d’un chant français sage et harmonieux se referme sur Oh ! quand je dors, nourri de naturel et de nostalgie, interprété mains jointes et lèvres presque serrées. L’épreuve de force est bien réelle à travers l’articulation légèrement affectée. Le timbre règne avec aisance sur toute la durée du poème. Possible thème de la soirée, la retenue est remarquable jusqu’en l’ultime invitation. Cette première boucle lyrique au programme, à partir d’auteurs très connus, ouvre ainsi sur une large quête spirituel.
Pour entrer au royaume du Lied, l’assaut est direct, passionné, à l’aide d’un allemand sûr et riche. Dans Mondnacht de Robert Schumann, l’ode à la nature retentit avec éloquence et sur le piano clignotant, la voix donne justement la sensation du lever de la lune. La grande dignité et une certaine froideur du romantisme germanique sont plus perceptibles encore dans Hör’ich das Liedchen klingen, offert avec courtoisie et inspiration par le généreux baryton. La voix se fait ensuite extrêmement mélodieuse, élancée et fervente pour le célèbre An die Musik de Franz Schubert. Moins de tact et de tendresse affleure dans la courte sérénade Ständchen. Le retour à la mélodie française, en abordant vigoureusement pour L’Ile inconnue de Théophile Gauthier, mis en musique par Hector Berlioz (Les nuits d’été Op. 7, 1841), permet de retrouver le bon souffle lyrique, sous une cadence de plus en plus vive grâce au jeu très juste de Maria Prinz.
La seconde partie commence par dévoiler le Tézier mozartien, clair et bouleversant dans le Lied Abendempfindung an Laura K.523 dont le climat incroyablement serein, tantôt ombrageux, tantôt rempli de clameur, laisse comme déserté mais aussi réjoui. Jovial encore, plein de galanterie, le bref Komm, Liebe Zither, komm K.351 ravit par l’étrangeté d’un chant sans âge, et mène enfin au Mozart irradiant, irrésistible de Deh, vieni alla finestra, extrait de Don Giovanni. Admirons ensuite le relief, le coffre, mais aussi la tendresse dans un détour ovationné vers l’opéra russe, plus précisément l’air de Yeletzki dans La dame de Pique de Tchaïkovski. Les grands sentiments s’y bousculent, entre colère rentrée, fougue et amertume. Mais les plus hautes vagues dramatiques se brisent avec la mort de Rodrigo (Verdi, Don Carlo). Ligne mélodique parfaite et intonations solennelles, bouleversantes, servent ce long calvaire poussant le tragique jusqu’au divin. Au chanteur devenu colosse héroïque, de sa prière au bord des larmes jusqu’au terme de sa sérénade mortuaire, un triomphe est réservé. Enfin, la dévotion au bel canto est absolue dans la brûlante confession Nemico della patria, extraite d’Andrea Chénier d’Umberto Giordano. Autant d’énergie démente que de mesure dans l’expression du terrible manque d’amour valent à Ludovic Tézier un tonnerre d’applaudissements – incluant ceux de la pianiste bulgare, dans la grande hospitalité générale propre à Peralada.
Également au croisement de l’opéra monumental et du lyrisme condensé du Lied, les bis consistent en une offrande vocale profonde, sage et puissante : la fantastique romance à l’étoile, O du mein abend Sterne, de Tannhäuser (Wagner), suivie du tourmenté Zueignun Op.10 de Richard Strauss, qui trouve les sincères mots de la fin en de vibrants remerciements – Habe Dank!
FC