Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Nora Gubisch
accompagnée par Alain Altinoglu

Théâtre du Châtelet, Paris
- 17 octobre 2003
Le mezzo-soprano Nora Gubisch
© dr

Depuis quelques années déjà, le jeune mezzo-soprano Nora Gubisch s’impose comme une voix avec laquelle il faut compter. Nous l’avions entendue dans l’Olga d’Onéguine à Tours, pour commencer, puis dans le rôle-titre de Juditha Triumphans, l’oratorio de Vivaldi, et c’est finalement en Salammbô qu’elle fit ses débuts sur la scène de l’Opéra de Paris, dans la création éponyme de Philippe Fénelon. Avec plaisir, nous la retrouvons régulièrement, que ce soit dans Háry János de Kodályà Montpellier l’an dernier ou encore dans Il-li-ko de Dusapin en janvier 2002, ici même. Les Midis musicaux du Châtelet l’accueillent aujourd’hui pour un récital au programme dense.

Ce moment s’ouvre avec les Wesendonck Lieder que Richard Wagner composait en 1857 à Zürich et dont quelques-uns esquissent certains passages de Tristan. Le premier, Der Engel, est plutôt maladroitement donné, sans effort de nuances, toujours exclusivement vocal, et accuse de curieux aléas de tempo. Stehe still fonctionne plus, avec un chant sensible et mieux maîtrisé après la première confrontation au public si rapproché du foyer. Cependant, là encore, le temps s’avère étrangement élastique. Au piano, le chef Alain Altinoglu, qui déjà alourdissait le postlude du premier, étire jusqu’à plus soif l’ultime phrase du deuxième Lied. En revanche, il propose une lecture intéressante d’Im Treibhaus, énigmatique dès les premières mesures, retenue, attentive et parfaitement mesurée, jusqu’à l’entrée de la voix qui bouleverse ce bel équilibre et bouscule le rythme sans vergogne. Outre cette révolution, la chanteuse surenchérit d’effets volontiers grandiloquents, gonflant son vibrato à outrance, parfois jusqu’à la fausse note. Pour finir, le piano retrouve le dosage subtil du prélude, dans une belle sonorité. Schmerzen est d’un bout à l’autre crié, tandis que Träume bénéficie d’une approche enfin musicale, expressive, quoiqu’un peu tirée vers le théâtre. Dans l’ensemble, les vagues que subit le tactusgénèrent une version presque vulgaire, plus proche du cabaret que du boudoir de Mathilde.

Le nuage s’éloigne...
Si son interprétation de Wagner déçoit, celle que Nora Gubisch offre des Trois chansons de Bilitis charme aisément. Le piano est fidèle, nuancé et expressif, le style merveilleusement maîtrisé. La flûte de Pan plante le décor symboliste que l’on sait pour qu’une Chevelure exquise vienne séduire l’auditeur. Les phrases en sont à peine psalmodiées, dans un respect scrupuleux des indications de la partition, et généreusement prononcées grâce à une diction d’une intelligibilité stupéfiante. Cette page se referme avec les mystères attendris du Tombeau des Naïades. C’est comme cela qu’on aime Nora Gubisch : fiable, sensible, efficace et musicienne.

Pour finir, l’on entend une lecture intelligente et joliment travaillée des Lieder Op.2 d’Alban Berg. L’artiste rend un hommage attentif au sombre romantisme du poème d’Hebbel, Dem Schmerz sein Recht, rebaptisé par le compositeur Schlafen, Schlafen. Elle présente l’univers particulier de Der Gluhende, le recueil poétique de l’expressionniste Mombert duquel Berg retiendra trois textes pour son opus. Ces pages sont d’une noirceur difficile à défendre et arborent une écriture complexe qui nécessite une précision exemplaire. Nora Gubisch fait de ces difficultés un avantage, s’ingéniant à rendre évidente l’accentuation viennoise du dire. Le piano se montre cependant trop brutal, confondant volontiers contraste et heurt (cela dit, cette violence vaudra mieux que les mièvreries d’une interprétation entendue il y peu à Radio France). Sans doute les tourments de l’Opus 2 et les exquises délices de Bilitis garderont-ils une place dans la mémoire de tous ceux qui assistèrent aujourd’hui à leur exécution.

BB