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Chroniques
récital Olivier Cavé
Beethoven, Haydn Mozart et Scarlatti
En route ! C’est attacca qu’Olivier Cavé rompt les derniers chuchotements. Traversée, ce soir, de l’âge classique, en un arc courant de Scarlatti à Beethoven en passant par Haydn et Mozart. Comptine aux appoggiatures joueuses, le thème des Douze Variations sur « Ah, vous dirai-je maman » K.265 de Wolfgang Amadeus Mozart annonce autant de scénettes d’enfantine humeur labile, tour à tour dansantes, fugacement graves, ou taquines et rieuses. Souple et mobile, la main gauche, étonnamment expressive, offre un tendre babil en la Variation n°1, de savoureux portati au quasi-choral de la onzième ou des saveurs de basson en la septième. La n°8 se colore d’un ethos de quatuor à cordes, hapax boudeur et mélancolique dans un ensemble décidément allègre où abondent les chantonnements à mi-voix (n°9) et les affirmations ludiques (n°4). Aucune répétition jamais ne s’enlise dans quelque réitération morne, tout flue sereinement, chante et sourit dans cette délicieuse entrée en matière que clôt très gaiement un allegro orchestral, tendre et fluide.
Olivier Cavé l’annonce, la Sonate en ré majeur Hob.XVI :37 de Joseph Haydn qu’il s’apprête à jouer est, elle aussi, d’humour folâtre, voire sarcastique – mais pas seulement. Énergique et liquide, l’Allegro con brio s’ouvre dans l’ironie de ses appogiatures redoublées. La touche est précise et alerte. Au fil du mouvement, l’engagement par moment quasi Sturm und Drang n’est jamais avare de commentaires portés par les variations flexibles de la dynamique. Le corps entraîné par tant de joyeuse vivacité, nous goûtons fort les cadences drolatiques, jusqu’à cette ultime, posée, dirait-on, comme le na! d’un enfant moqueur. De toute autre facture est l’étonnant Largo e sostenuto, dépliant, depuis un dramatique arpège liminaire, ses dolents récitatifs, rares chez Haydn. Le jeu s’installe dans une résonance legatissimo, tirant des dissonances une forme de suavité sourde et des tensions brumeuses quasi funèbres. Le son s’arrondit, nous parvient comme au travers de nuées douloureusement pensives, s’éteint enfin dans l’interrogation de l’ultime demi-cadence. Une légèreté de clochettes joyeuses nous sort bien vite des mélancolies : Presto ma non troppo, le Finale referme la sonate sur des silences cocasses de brusquerie et des commentaires enjoués. Le son y badine non sans mordant, tour à tour métallique et plus feutré, servi par une micro-dynamique d’une expressivité aussi retenue qu’inventive, assurément réjouissante.
Six sonates de Domenico Scarlatti font la transition avec la seconde partie de concert, consacrée à Beethoven. À la prodigalité du compositeur italien, le pianiste offre la générosité de sa palette expressive. Le premier morceau, tout de trilles sautillants puis de nappes liquides et de dialogues parfaitement équilibrés entre mains gauche et droite, baigne dans une accentuation dont la richesse défie toute description. À la pièce suivante, des saveurs de musique espagnole (dès ses trente-cinq ans, Scarlatti avait fait ses premiers longs séjours dans la péninsule ibérique) exploitent la moindre occasion pour déployer ce qu’on ne saurait appeler autrement qu’un grand style. Somptueuse élégie triste du n°3 de cette série, aux résonances voluptueuses d’affliction, déployant des legato organiques sur une belle fermeté d’attaques ; harmonies gershwiniennes syncopées sur le prochain ; lyrisme et pizzicati sur les deux dernières : autant de miniatures merveilleuses !
Ludwig van Beethoven est un génie assurément moins solaire.
Sa Sonate en ut mineur Op.13 n°8 « Pathétique », qu’Olivier Cavé présente comme l’apex de sa première période, n’a certes pas la légèreté déployée aux pièces précédentes. Il nous en propose une lecture très classique et comme adaptée au pianoforte, mesurée, donc, sage, peut-être, aux oreilles habituées à la sonorité extraordinaire de l’école russe. L’articulation est précise, presque sèche aux expositions des thèmes Grave puis Allegro di molto e con brio. La dynamique, fort maîtrisée, s’accommode de forte retenus dans un ethos plus réservé que comminatoire. La phrase musicale peut s’en ouvrir au plain-texte de la partition : lente expansion d’un crescendo sur plusieurs mesures ou investissement des points d’orgues jusque dans les silences. Contrastes dosés, son mat : Haydn n’est au fond pas si loin. Le lied de l’Adagio cantabile chantonne alors doucement, traversé d’un subtil rubato : c’est une succession de réflexions récitatives, comme poudrées d’inquiétude légère, dans une lumière tendre. Le son s’en délivre rond sur un tapis d’anaphores graves. Un cor d’harmonie semble prendre la main à la partie centrale, parfois un peu raide, mais enveloppé toujours du rêve doux et lent tissé par la main gauche. Ce moment délicat se referme dans des accents mozartiens pour laisser place aux récits du Rondo – une musique où le pianiste, sensible à la mélodie et aux dialogues, se fait alors conteur, aidé en cela par une grande précision de toucher et une pédale parcimonieuse. Emportés, nous ne le sommes jamais, mais charmés, assurément.
« Pathétique de jeunesse », c’est ainsi qu’Olivier Cavé introduit enfin la Sonate en fa mineur Op.2 n°1 du même Beethoven. Toute première sonate, dédiée comme tout l’opus 2 au maître ambivalent, Haydn, ses trois premiers mouvements portent indéniablement la marque du Viennois. Ouvert comme à pas de loup, l’Allegro se déplie dans la dynamique précise du style classique pour faire place à la lente cantilène de l’Adagio, d’abord calme sur ses basses voluptueusement arpégées, puis ouvragé d’une moire de tierces pour finir dans les ironies de surprises haydniennes. Le Menuetto s’en va dansant, Allegretto, dans des rondeurs d’octuor de cuivres et des délicatesses presque imperceptiblement malicieuses. Mais c’est sans doute au dernier mouvement, Prestissimo, que la sonate doit sa réputation d’anticiper un Beethoven plus tardif. Dans un tempo vif, Olivier Cavé s’y montre entraînant et orchestral dans les tutti, puis chantant à la partie centrale, pour finir brillamment dans une assertivité presque violente mais toujours tenue.
Il nous fait le plaisir de refermer le concert avec deux bis.
De Johann Sebastian Bach, l’Andante du Concerto en ré mineur BWV 974 d’après le Concerto pour hautbois en ré mineur d’Alessandro Marcello diffuse une clarté liquide, amoureuse et à la fois retenue jusque dans l’inquiétude des ruptures. Une pièce non titrée, possiblement de Scarlatti, laisse l’auditeur repartir léger sur une virtuosité très dynamique et ronde.
MD