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Chroniques
récital Paavali Jumppanen
œuvres de Boulez, Debussy, Haapanen et Xenakis
Ce dimanche à 17 heures, quatorzième et avant dernier concert de l’édition 2014 du Festival Messiaen au Pays de La Meije, où retrouver, pour le troisième menu pianistique de cette célébration Messiaen/Xenakis, un habitué du festival, présent sur trois éditions [lire notre chronique du 6 août 2010], également signataire d’une mémorable version des Vingt regards sur l’Enfant Jésus (en 2011) : le jeune virtuose finlandais Paavali Jumppanen.
Suite à Prodromos Symeonidis, qui donnait le 27 juillet un récital en plein cœur de la thématique évoquée (extraits des Catalogues d’oiseaux, Quatre études de rythme de Messiaen, Evraly de Xenakis) et la proposition de Marie Vermeulin (Vingt regards), notre soliste d’aujourd’hui brasse un répertoire aux limites temporelles plus larges et dans lequel Debussy s’invite entre Xenakis, Boulez et le Finlandais Perttu Haapanen, assez peu connu en France, dont nous entendrons le Mi noche triste Revisited en création française.
Il est rare que Claude Debussy, auquel Olivier Messiaen vouait une admiration sans limite et dont les innovations dans les champs harmoniques, temporels et orchestraux se font fer de lance d’une définition de la modernité, ne trouve pas sa place dans les grilles de programmation de La Meije. L’édition Géométrie des sons ne fait pas exception à la règle et Paavali Jumppanen ouvre le feu d’un récital tea time par le Livre I des Préludes (1910) de l’instigateur de la « révolution subtile » (Boucourechliev). Invitation au voyage, qui ne renonce pas à certains effets descriptifs, ces deux livres représentent un aboutissement irréfutable de l’écriture pianistique du compositeur – sans doute faudrait-il ajouter l’opus pour deux pianos En blanc et noir et le recueil des Douze Études – dont chaque volet est pensé et développé comme un petit bijou d’orfèvrerie. Toute la difficulté de cette musique, qualifiée en raccourci d’impressionniste, repose sur un équilibre constants des plans dynamiques, la clarté et l’articulation d’un discours qui ne doit jamais sombrer dans un recours abusif de la pédale. Le jeu de Jumppanen retient, justement, l’attention et l’oreille par une finesse presque cristalline, mais qui ne manque jamais de corps et d’une redoutable précision digitale. Dans les registrations et dynamiques extrêmes, le son respire, sans dureté, dans une amplitude toujours contrôlée. Une lecture nette, sans excès, précise et rigoureuse où contrôle et maîtrise ne nuisent en aucune manière à l’intention musicale.
Après cette mise en doigts, si l’on peut dire, d’une trentaine de minutes, et un bref entracte, le musicien s’attaque au très attendu Herma (1960-61), premier opus pour instrument seul du compositeur célébré cette année, et parfait exemple de « musique symbolique ». D’abord considérée comme à la limite du jouable (notamment à cause d’un tempo extrêmement rapide), la pièce fut toutefois créée sans encombre en février 1962, à Paris, sous les doigts véloces du pianiste et compositeur japonais Yūji Takahashi. Comme souvent chez Xenakis, cette page ne donne pas immédiatement à comprendre son fonctionnement interne. Le son, qui d’abord semble atomisé et éclaté dans l’espace du piano, finit par se resserrer dans une concentration d’énergie. On ne ressort pas indemne de ces 6’30 d’un chef-d’œuvre à la virtuosité ébouriffante, révélant la solidité et l’investissement total d’un interprète fortement armé.
Des qualités musicales analogues se retrouvent dans l’exécution de la Sonate n°3 de Pierre Boulez, composée et créée en 1957 par le compositeur lui-même à Darmstadt. Sur les cinq mouvements initialement pensés (Antiphonie, Trope, Constellation-Miroir, Strophe et Séquence), seuls les deux et trois ont été publiés et sont à la disposition des artistes. Suivant les principes de l’œuvre ouverte (définis par Umberto Eco), le musicien est invité à se construire un parcours personnel dans les cheminements labyrinthiques de ces deux mouvements – « l’œuvre n’aura jamais un visage définitivement fixé », dit Boulez. Rigueur et sérieux sont une nouvelle fois les armes de Paavali Jumppanen qui nous guide dans des choix formels parfaitement défendus [lire notre chronique de son intégrale en concert, le 9 juin 2004]. Profitons d’ailleurs de l’évocation de cette pièce et de la précédente pour glisser un petit clin d’œil au tourneur de pages, qui se sort habilement d’un exercice qui n’est jamais aisé. Nice job !
Au sein de cette programmation de pièces fondatrices du répertoire, Mi noche triste Revisited du compatriote Perttu Haapanen, composé en 2013, dédié à Paavali Jumppanen et librement inspiré du tango de Samuel Castriota (Mi noche triste, 1952) constitue une respiration intéressante entre Xenakis et Boulez, mais qui a bien du mal à surnager face à ces monstres sacrés.
NM