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Chroniques
récital Philippe Giusiano
œuvres d’Andrejevas, Chopin, Liszt et Rachmaninov
Après un été de festivals, ici et là, le public parisien retrouve la musique chez lui avec Les Nouveaux Solistes aux Serres d'Auteuil. Nous y entendons Philippe Giusiano dans un programme est-européen, ce dimanche soir. À trente et un ans, le pianiste a beaucoup joué l'œuvre de Chopin et fut remarqué en 1990 à la fameuse épreuve varsovienne où il obtint le premier prix cinq années plus tard. Il a enregistré trois disques consacrés au compositeur polonais, et certains auront pu apprécier son interprétation du Concerto en fa mineur Op.21 n°2 avec l'Orchestre National de la Radio de Katowice, lundi dernier, en l'Abbatiale de La Chaise-Dieu.
Il commence son récital avec le Prélude en ré bémol majeur Op.28 n°15 « la goutte d'eau » dans une lecture plutôt secrète, voire farouche qui expose le premier thème dans une sonorité savamment moelleuse, tandis que la partie centrale souffre d'une utilisation pas toujours bien dosée de la pédale. La reprise du thème initial bénéficie d'une belle tendresse. L'acoustique de la salle devrait permettre un jeu plus sec, porté qu'il se trouve par le verre qui vient mouiller juste ce qu'il faut chaque phrase, afin d'obtenir une articulation claire. Philippe Giusiano donne ensuite la Ballade en la bémol majeur Op.47 n°3 avec une ample pâte sonore n'accusant jamais aucun heurt, même lorsque les aigus requièrent l’accentuation. Son interprétation est concentrée et ténue, sans frivolité. Le thème central s’en trouve préservé de toute vocalité, demeurant toujours habité d'une réelle inquiétude – un Chopin qui s'affirme grave lorsqu'il se prétend léger ! Cependant, pas d'excès d'expressivité : le jeu de Giusiano est plus intérieur qu'aucun commentaire ne saurait en rendre compte. Aucune lumière ne vient percer le final. Plus radical encore, l’interprétation de la Ballade en fa mineur Op.52 n°4 se fait austère. Étonnamment, le pianiste sait chanter sans lyrisme. Toutefois, l'utilisation copieuse des pédales s'avère fauteuse de trouble. Même dans les traits de virtuosité manifeste, l'artiste ne cède pas au spectacle : sa vision est tendue, pudique et fragile, dans une déferlante émotive qui reste digne.
Du compositeur lituanien Julius Andrejevas, Philippe Giusiano joue Lemtis (Destin, en français), pièce brève écrite en 1991 qui partage un vague air de parenté avec Signes en blanc d’Edison Denissov, plus ancienne. L'omniprésence d'une sorte de glas, alternant des motifs récurrents avant de donner lui-même naissance à la partie plus rapide de cette œuvre globalement dépouillée, ne dédaignant pas d'utiliser quelques signaux ravéliens avant un retour à l'introduction, définira l'atmosphère. L’exécution est nuancée, brillant d'une appréciable précision dans le respect des différentes frappes requises.
C'est avec Ferenc Liszt que le pianiste conclut son programme, par des Jeux d'eau à la Villa d'Este d'une grande délicatesse, remarquablement poétiques, et Après une lecture de Dante évidemment irréprochable, mais qui correspond peut-être moins à son tempérament. Cette pièce demande une vision plus large, un peu de théâtre, également, et lorsqu'elle est, comme ici, trop serrée, le jeu paraît nerveux et même paradoxalement maniéré. Enfin, Philippe Giusiano offre en bis un Rachmaninov discrètement coloré, par petites touches impressionnistes d'un grand raffinement.
BB