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Chroniques
récital Philippe Jaroussky (voix) et Thibaut Garcia (guitare)
pages de Barbara, Bonfá, Britten, Caccini, Dowland, Fauré, García Lorca,
À la suite du CD À sa guitare paru l’hiver dernier, la vaste tournée qui, ces deux prochains mois, mènera en Europe et outre-Atlantique la haute-contre Philippe Jaroussky et le guitariste Thibaut Garcia fait une étape à Gordes, aux Saisons de la Voix. Niché au droit de falaises blanches, magnifiquement éclairées, et surplombé par le typique et très touristique village provençal, le Théâtre des terrasses, en extérieur, est un lieu enchanteur pour ce récital.
Le programme commence par À sa guitare de Francis Poulenc où l’on apprécie l’amplification sonore équilibrée entre chant et instrument. La voix de Jaroussky est toujours aussi élégiaque et musicale, émettant une juste dose de vibrato ; seules quelques notes, les plus hautes, sont atteintes avec de petites difficultés. Caro mio ben de Giuseppe Giordani sonne bien plus délié, y compris sur les grands sauts d’intervalles, tout comme Chi desia di saper de Francesca Caccini, plus rythmé. Les interprètes s’adressent au public pour présenter un menu éclectique couvrant quatre siècles de musique, exprimé en diverses langues, qui « mélange les deux mondes musicaux de la guitare et du contre-ténor ».
La séquence qui suit est anglaise, avec un très mélancolique In darkness let me dwell, puis un moins triste Come again, tous deux de John Dowland. Le lamento de Dido and Aeneas d’Henry Purcell, When I am laid in earth, dégage aussi beaucoup d’émotion, puisant davantage dans le médium et le grave, sans aucune tension vocale.
Suivent Abendempfindung, le Lied de Mozart, Nel cor più non mi sento extrait de L'amor contrastato, ossia la Molinara de Giovanni Paisiello, puis un autre air d’opéra, Di tanti palpiti, tiré de Tancredi de Gioachino Rossini, dont virtuosité et longueur de souffle viennent à bout des passages les plus fleuris, même si ce n’est sans doute pas dans ce répertoire serio que nos récents contre-ténors – on pense à Jaroussky, mais aussi à Max Emanuel Cenčić et à Franco Fagioli – se sont montrés les plus convaincants par rapports aux habituels mezzos. Le chant fait un nouveau détour par l’allemand avec Erlkönig de Franz Schubert où l’artiste différencie nettement les voix des trois personnages, sur un accompagnement d’un beau relief dramatique, ainsi que de nombreux autres par l’espagnol : El mirar de la maja d’Enrique Granados, Anda, jaleo de Federico García Lorca – et un petit pas de tango à la fin ! –, ainsi que la bouleversante composition Alfonsina y el mar d’Ariel Ramírez, souvent interprété par la chanteuse argentine Mercedes Sosa et d’une tristesse à faire pleurer les pierres.
En repassant au français, l’auditeur savoure encore plus le texte, d’abord la magnifique articulation des deux mélodies de Fauré, Au bord de l'eau et Nocturne, puis la chanson de Barbara, Septembre, décrivant la nostalgique fin d’un amour d’été, parfaitement dans cette voix dont les aigus éthérés évoquent même la chanteuse disparue. Après un crochet par le Brésil – Manhã de carnaval de Luiz Bonfá – et quelques splendides morceaux instrumentaux joués avec une maîtrise absolue par le jeune Thibaut Garcia, c’est encore en français que se conclut le programme, Il est quelqu'un sur terre du Britannique Benjamin Britten, fofksong à nouveau plongée dans une sombre atmosphère. Deux bis sont accordés au public conquis, qui repartira comblé par ce beau voyage musical : Les feuilles mortes, puis une berceuse catalane, Mareta, Mareta.
IF