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Chroniques
récital Plamena Mangova
Ludwig van Beethoven, Johannes Brahms et Ferenc Liszt
Un bonheur n’arrive jamais seul, aime-t-on à dire. De fait, à celui d’entendre la musique vivante après de longues semaines sans le pouvoir faire, s’ajoute la joie de retrouver Plamena Mangova au Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron. Il est dix heures du matin, déjà le soleil inonde les gradins. Alors que nous nous apprêtons à écouter l’artiste bulgare jouer des pages d’Albeniz, Monpou et Falla, croisant les plus familiers Ravel et Debussy le changement de programme, sans décevoir, vient surprendre. Tourné vers l’Espagne, le menu initial regarde désormais l’Allemagne romantique. Il est ouvert par un opus rare de Beethoven, dédié à Babette, soit la comtesse slovaque Ana Luiza Barbara Odescalchi von Keglević. Composées en 1799, les Zehn Variationen WoO 73 über das Thema « La stessa, la stessissima » aus der Oper « Falstaff » von Salieri s’attachent, comme l’indique le titre, à un duo tiré du dramma giocoso d’Antonio Salieri créé à Vienne au troisième jour de cette année-là. La pianiste, qui l’enregistra en 2008 [lire notre critique du CD], brille par la précision des diverses natures de frappe et par ce petit rien d’insolence venu de Shakespeare à l’Italien. On goûte l’articulation rigoureusement joueuse, dans un son toujours clairement serti.
Après cet amuse-bouche classique, Plamena Mangova avance d’un demi-siècle vers nous, avec la Sonate en fa mineur Op.5 n°3 de Brahms, écrite en 1853. Cette œuvre d’un musicien de vingt ans, admirateur de Schumann qui le considère vite comme un génie, possède des proportions étonnantes en son temps. Elle constitue le cœur de ce rendez-vous matinal, dans le frémissement des feuilles sous la brise et l’amoureuse cymbalisation des biens chers lyristes locaux. Dès l’Allegro maestoso s’impose une sonorité plus ample, généreuse, quoique sans pédalisation abusive. Une réserve farouche et salutaire est adroitement maintenue dans les moments d’emphase. Un cantabile splendide occupe l’Andante espressivo dont la nuance, minutieusement dosée, est d’une tendresse inouïe. Coloré comme une musique de paquebot, le Scherzo affirme un naïf enthousiasme dont le grand talent de l’interprète [lire nos chroniques du 24 février 2016, des 26 janvier et 8 février 2017, enfin de son CD Chostakovitch] ne parvient guère à masquer le verbe laborieux. Celle-ci charme immanquablement avec l’Intermezzo auquel elle ménage une inflexion inventive, presque debussyste. Le Finale ne déroge pas au poids de l’œuvre entière.
« I' vidi in terra angelici costumi
et celesti bellezze al mondo sole,
tal che di rimembrar mi giova et dole,
ché quant'io miro par sogni, ombre et fumi… » :
Sur la terre je vis les us angéliques
et des beautés célestes uniques au monde,
de sorte que m’en souvenir me réjouit et me peine,
car celles que je vois désormais ne sont, à les comparer que rêve, ombre et fumée…
[traduction par l’auteur de cette chronique]
Dernier épisode de ce récital, le Sonetto 104 del Petrarca, conçu en 1838 par Liszt – volontiers honoré par ces doigts [lire notre chronique du 21 juillet 2011] – et intégré au recueil Italie de ses Années de pèlerinage, offre une délicate méditation. À l’opposé, la Mephisto-Walz n°3 fait ensuite rivaliser scansions sataniques et brûlantes dentelles. Deux bis concluent ce moment placé sous la protection de trois figures littéraires – Shakespeare, Pétrarque et le mythe de Faust – : le doux Notturno extrait des Lyriske stykker Op.54 de Grieg, livré dans une inflexion poétique toute caresse, puis la brillante transcription pour piano seul du Lied Der Atlas issu du Schwanengesang D.957 de Schubert, ici magistralement donnée.
BB