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Chroniques
récital Renée Fleming
Philippe Jordan, piano
En ce dimanche de Pâques, les aficionados de Renée Fleming ne manqueraient pour rien au monde son récital au Palais Garnier. La salle est donc archicomble pour le retour à Paris de la diva nord-américaine (sa dernière apparition remonte au 2 décembre 2012, salle Pleyel, avec Maciej Pikulski au piano).
Cette fois, c’est Philippe Jordan qui l’accompagne dans un programme particulièrement alléchant que l’Opéra national de Paris a l’excellente idée de « surtitrer » et où le soprano n’essaie pas de vendre son dernier enregistrement, comme ses collègues en ont pris désormais l’agaçante habitude. Pour commencer, Frauenliebe und leben de Robert Schumann, qu’elle n’a jamais abordé à la scène, est une vraie révélation. Sa belle voix melliflue paraît un peu courte de souffle, mais très vite elle retrouve une totale maîtrise de la ligne de chant.
Renée Fleming retrace avec intelligence et émotion les étapes de la vie de cette héroïne, du coup de foudre à la perte tragique de son époux. Sa tendresse culmine avec An meinem Herzen, an meiner Brust qui exalte la maternité. Dommage que, les yeux rivés sur la partition, Jordan soit peu inspiré. Le fringant directeur musical de l’institution déçoit et, par des tempi alanguis, voire des retards, embarrasse la chanteuse dans ces pages qui pourtant lui siéent à merveille. Heureusement, avec les Lieder de Richard Strauss, le duo retrouve une étonnante complicité.
Mozart et Strauss sont ses compositeurs de prédilection de Fleming. On sait déjà que sa dernière apparition sur une scène d’opéra sera l’incarnation, une ultime fois, de la Feldmarschallin (Der Rosenkavalier), son rôle fétiche (au Metropolitan Opera en 2017). Cinq Lieder du maître allemand sont proposés, parmi lesquels Ruhe meine seele Op.21 n°7, interprété avec une fougue et une belle projection vocale, sans en altérer la musicalité, et Allerseelen Op.10 n°8 un peu extérieur, pas assez poignant. Das Bächlein Op.88 n°1, Meinem Kinde Op.37 n°3 et Die heiligen drei Könige Op.56 n°6 n’appellent que des louanges, tant la musicienne en conte l’intrigue avec un velours dans la voix, toujours idéal.
Après l’entracte, un vibrant hommage est rendu à Henri Dutilleux, en cette année du centenaire de sa naissance. Le temps l’horloge, qu’elle créait à Paris le 7 mai 2009, est le cycle de cinq mélodies composé par le Français pour l’Étasunienne à la suite d’un coup de foudre réciproque. L’œuvre fut conçue et élaborée à travers d’innombrables conversations téléphoniques entre Paris et New York, puis finalisée par un long séjour de Renée Fleming à Paris. C’est dire combien son interprétation est précieuse. Là encore, la diva excelle, malgré un français compréhensible mais non irréprochable. Elle est irrésistible et malicieuse dans le dernier poème, Enivrez-vous de Baudelaire, qui subjugue une salle en délire.
Pour les cinq mélodies de Sergueï Rachmaninov qu’elle a choisies, elle fait appel à ses origines tchèques pour transfigurer sa voix de façon àl’adapter aux arcanes du chant slave, comme elle sut si bien le faire avec Rusalka (Dvořák) et la Tatiana d’Eugène Onéguine (Tchaïkovski). La deuxième mélodie Ne chante plus pour moi Op.4 n°4 est particulièrement bouleversante et l’ensemble n’appelle que des éloges.
Pour finir, elle introduit les quatre bis offert à son public qui l’ovationne. Avec une certaine émotion, elle se souvient avoir conquis le public parisien, il y a vingt cinq ans, dans le rôle de la Comtesse des Nozze di Figaro. Ainsi offre-t-elle un sublime Porgi amor d’une émotion indicible. En hommage à sa nation et « parce que c’est le printemps », un Summertime (Gershwin) débridé qu’elle ponctue par un « yeah » très yankee, suivi de « [m]on air d’opéra favori », O mio babbino caro de Gianni Schicchi (Puccini). Enfin Morgen Op.27 n°4 de Strauss clôt avec recueillement un triomphal concert d’exception.
MS