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Chroniques
récital Ricarda Merbeth
Korngold, Schönberg, Schreker, Strauss, Weber et Zemlinsky
Après des études à Leipzig qui la conduisent d’abord sur la scène de Magdebourg, Ricarda Merbeth intègre la troupe de la Staatsoper de Vienne avec laquelle, de 1999 à 2005, elle interprète notamment les ouvrages de Mozart (Donna Anna, Fiordiligi, Pamina, etc.), Wagner (Elisabeth, Eva) et Strauss (Daphne, Chrysothemis, Salome). Accompagnée par le pianiste Alexander Schmalcz – également enseignant à Düsseldorf et Leipzig –, elle nous entraîne ce soir vers des compositeurs en équilibre entre deux siècles, dans un programme des plus cohérents au parfum Jugenstil.
Influencé par Bruckner et Wolf, Franz Schreker (1878-1934) compose la plupart de ses Lieder entre 1896 et 1909. Le soprano a choisi cinq d’entre eux, évoquant souvent la nature, dans la tradition romantique – sur des poèmes de Robert Franz Arnold, Stefan George, Dora Leen et Ernst Scherenberg. Le tranquille Waldeinsamkeit, avec ses scintillements de lune au piano, peint la promenade nocturne d’un couple en forêt. Entführung et Sommerfäden alternent chacun des couplets plein d’allant, voire guillerets, à d’autres plus paisibles, parfois douloureux. Partant du constat neutre d’une rose rouge se fanant dans un vase, Rosentod gagne en vivacité et en révolte – « Weil dich nicht Liebe gepflückt » (Parce que ce n’est pas l’amour qui t’a cueillie). Enfin, c’est avec une joie schumannienne que Lenzzauber célèbre la magie du printemps.
Débarrassée de quelques éraillements de mise en route, la voix est maintenant souple et onctueuse à souhait pour aborder les viennois Vier Lieder Op.2 d’Arnold Schönberg (1874-1951) – les trois premiers s’inspirant de textes de Richard Dehmel, le dernier signé… Paul Heyse (notes du programme) ou Johannes Schlaf (autre source). Comme en suspension, Erwartung ne déploie aucun affect et Schenk mir deinen goldenen Kamm suit la même voie, jusqu’au déchirant O Maria ! à mi-course. Erhebung exprime son élévation amoureuse par un crescendo exalté. Tendrement expressif et mahlérien, Waldsonne nous fait retrouver la forêt, et un piano qui se distingue par ses notes suspendues au final.
Écrits entre 1903 et 1905 sur des textes de Ferdinand Avenarius, les Drei Lieder sont donc antérieurs à la Passacaille pour grand orchestre (1908), premier opus au catalogue d’Anton von Webern (1883-1945). Gefunden s’attendrit un court moment, entre un début mordant et une fin assez dure que soutient une frappe franche au clavier. Gebet dépeint une prière teintée de douleur, puis de résignation pour atteindre la sagesse (« et qu’enfin la graine féconde le sillon ! »). Freunde célèbre l’amitié dans une gaité anodine et paisible, pour toucher à la célébration du sacré.
Un lyrisme passionné attend le spectateur après l’entracte : ayant revêtu une robe écarlate, Ricarda Merbeth entame Drei Lieder Op.22, un cycle dédié à sa mère par Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), qu’il compose entre 1928 et 1929, au sortir de la création de Das Wunder der Heliane (1927) [lire notre critique du CD]. Avec ses quelques échos puccinien, Was Du mir bist – sur un texte d’Eleonore van der Sraten, les deux autres étant de Karl Kobald – continue de mettre en valeur le moelleux de la chanteuse dans une conduite rigoureuse. Mir Dir zu schweigen, quant à lui, favorise son aigu clair et facile. Enfin, Welt ist stille eingeschlafen décrit la ferveur d’un amoureux tandis que tout s’endort, son cœur bondissant comme les notes du piano.
Entre 1886 et 1888, près de cinquante ans avant de métamorphoser en laurier une de ses héroïnes d’opéra [lire notre critique du DVD], Richard Strauss (1864-1949) s’empare des mots de Felix Dahn pour des portraits de jeunes filles en fleurs. Des climats nuancés se succèdent avec Kornblumen (Les bleuets), Mohnblumen (Les coquelicots), Epheu (Le lierre) et Wasserrose (Le nénuphar), mélodies sans couplets où règne un piano délicat – en particulier dans la dernière, proche de Duparc et Fauré.
Influencé lui aussi par Wolf puis par Brahms qui l’encourage, Alexander von Zemlinsky (1871-1942) compose une cinquantaine de Lieder entre 1894 et 1903. Walzer Gesänge Op.6, sur des poèmes de l’historien Ferdinand Gregorovius, date de 1898. Si l’on excepte le sombre Ich geb’ des Nachts, les cinq autres éléments du cycle sont pour le moins paisibles (Klagen ist der Mond gekommen, Blaues Sternlein), le plus souvent enjoués et radieux (Liebe Schwalbe, Fensterlein, nachts bist du zu et Briefchen shrieb). Extrait de Die tote Stadt – que Ricarda Merbeth chantait ici-même il y a quelques saison [lire notre chronique du 9 octobre 2009] –, un bis très lyrique n’entache pas ce récital qui trouvera son pendant masculin le 5 juin prochain, au Palais Garnier, lorsque Torsten Kerl interprétera Korngold, Wagner et Zemlinsky.
LB