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Chroniques
récital Rossini
Lamia Beuque, Philippe Estèphe, Franck Leguérinel,
Chef d’orchestre très en vue à Saint-Céré ces dernières années, Gaspard Brécourt [photo] confie aux mordus de l’opéra, juste avant l’entrée vibrante des artistes, son ravissement redoublé et l’énorme plaisir à partager, au comble de la réjouissance, alors qu’il s’apprête à tirer le tabouret sous le piano et dresser sur scène, comme un festin, le récital Rossini. Et avec quelle précoce joie, déjà, l’illustre patronyme trisyllabique a-t-il été donné en pâture aux quelques centaines d’amateurs sagement assis dans la large cour du manoir cossu qui domine la vallée de la Dordogne, sans doute bien heureux de briser le jeûne lyrique en survidant même, peut-être, le débordement d’opéra-bouffe annoncé ! Au (deuxième) soir du grand retour du lyrique, le rendez-vous lotois paraît adapté aux particularités de cet été en adoptant un format impromptu avec l’organisation maîtresse des petits riens pseudo-aseptiques et, surtout forte d’optimisme, plus que jamais.
Bien en chair et bon vivant, roi de buffo, l’art rossinien fascine d’entrée par la faconde et la mélodie assurée du trio Un marito scimunito (extrait d’Il Turco in Italia, créé en août 1814 à la Scala de Milan). Comme versées du carafon à la bienvenue, les voix se succèdent en un habile jeu de cascade, du baryton Philippe Estèphe, vif, clair et bien tendu, au ténor Camille Tresmonant, doté d’un admirable timbre et d’une émission saillante, en passant par le baryton-basse Franck Leguérinel, savamment excessif. Que le piano rigole, le rythme se complexifie et la scène s’enhardisse, selon la recette originale du boucher de la Romagne, pour une audacieuse mise en bouche, généreuse sinon copieuse, conclue par les trois chanteurs serrés en gousse, malicieux comme de mirlitons.
Délicatesse et douceur priment dans les morceaux du Barbiere di Siviglia (1816). Accompagné d’une guitare, voici le comte d’Almaviva pour Se il mio nome saper voi bramate murmuré près du public avec une ferveur croissante par Tresmontant, et bu de bonne soif tel un verre de limonade. Puis au duetto léger comme la brise, Dunque io son, l’harmonie des voix, des corps et du piano est toute trouvée afin de marquer la renaissance estivale de l’opéra, sous la première ovation de la soirée. Au Figaro à la fois drôle et grave d’Estèphe s’est adjoint, comme par magie, le chaleureux et charmant mezzo de Lamia Beuque (Rosina) pour tendre au bonheur complet cet air finalement emporté.
En attaquant La Cenerentola (1817), le plaisir si particulier du compositeur se corse à mesure que l’ondulation savoureuse du piano accompagne la genèse gourmande du truculent Don Magnifico, incarné avec autant d’énergie que de maîtrise par Leguérinel. Quel étrange don que celui de Rossini !... Le savoir-faire paraît d’autant plus singulier que l’air suivant, Come un’ape ne’giorni d’aprile (par le faux prince Dandini), revêt la forme d’un hymne amoureux aux graves superbement sculptés par Estèphe, tout en conjuguant vocalises exigeantes et doux bercement. Le piano varie entre calme et excitation, dans l’esprit de conte de fée de ce dramma giacoso. Mais l’humour ravageur et le piment musical éclatent dans les deux duos consécutifs. Tutto e deserto exprime avec intensité et sublime confusion la rencontre amoureuse entre la Cenerentola rayonnante de lyrisme, aventurière dans ses acrobaties vocales, et le prince Ramiro dont la fébrilité cache à peine la haute flamme. Lamia Beuque et Camille Tresmontant traduisent à merveille le questionnement premier dans la musique et la vie de Rossini, le type-même du gourmand séducteur. Dans Un segreto d’importanza aussi, le piano sert de catalyseur en faisant davantage claquer les accents vocaux des volcaniques Leguérinel et Estèphe, insatiables, jusqu’à ce que tout s’achève dans un jouissif trop-plein de colère, de gesticulations et d’affolement de la boussole pianistique.
Enfin, dans L’Italiana in Algeri (1813), l’idylle naissant entre Taddeo et Isabella (Ai capricci della sorte) a tout d’une victoire opératique, grâce aux excellentes mises à feu, aussi graduées que nettes, de Beuque (Isabella) et d’Estèphe (Taddeo). Pour le cocasse Oh! che muso, che figura, la belle Italienne se métamorphose vite, langoureuse et espiègle, face à la basse riche et survoltée de Leguérinel (Mustafa). On frise la caricature avant de tomber dans la folie des « Pappataci », trio masculin à la jubilation bien saisie. Aucun doute, la sauce a bien pris ! S’ensuit, entre épanchement sentimental et déclaration de foi, un Per lui che adoro captivant à l’arraché, par le souffle sensuel instillé par Lamia Beuque.
Ainsi finirait cette visite des géniales curiosités rossiniennes, entrelardée de citations stendhaliennes lues par Franck Leguérinel, à travers ou autour d’un artiste entier... voire plus, tant il aime en rajouter. En bis et en quatuor survient Buena sera, mio signore, en guise de salutations.
FC