Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Simone Kermes et La Magnifica Comunità
Hasse, Leo, Pergolesi, Porpora, Scarlatti, Vivaldi

Les Grandes Voix / Salle Gaveau, Paris
- 25 octobre 2012
le soprano allemand Simone Kermes met la salle Gaveau à ses genoux !
© moritz schell

Robe noire destroy ouverte en façade sur crinoline en rocaille anarchique laissant nues les jambes, Simone Kermes, anglaises orangé, fait une entrée vivement applaudie sur la scène de Gaveau. Après que l’ensemble La Magnifica Comunità a entonné l’Ouverture d’Agrippina de Nicolò Porpora, le soprano allemand, looké à mi-chemin entre libertine en queue-de-pie et poupée tombée de sa coiffeuse qu’une brigade de Sans-culottes auraient détroussée, arbore un coloratur infiniment souple dès Vedra turbato il mare, une aria de tempête extraite de Mitridate du même Napolitain. Présenté par Les grandes voix et Philippe Maillard Production, ce récital suit plus ou moins l’album Dramma (Sony) que notre rédaction vient de distinguer [lire notre critique du CD].

De sa voix, Simone Kermes fait ce qu’elle veut, comme en témoigne l’habileté avec laquelle elle dépose tout en douceur le couplet, avant un da capo brillant d’agilité. On l’a souvent dit : ses secrets pianississimi touchent comme aucun, et contrairement à ce que l’on cru il y a quelques années, sont aujourd’hui si parfaitement maîtrisés qu’ils font mouche sans mettre l’organe en danger. Ainsi commence-t-elle Alto Giova (Polifemo – Porpora, toujours) dans un velours indicible au legato ténu. Si l’écriture du trait central est plus éclatante, la chanteuse maintient le caractère général tout au long de l’air, ciselant bientôt un da capo à la limite de l’audible, dans des demi-teintes folles. À l’attaque suraigüe comme « révulsée » du DC de Tace l’augello (Agrippina, encore) succède la virtuose fureur d’Empi, se mai disciolgo (Germanio in Germania… du même) dont la vocalise ascendante n’est cependant pas toujours exactement assurée.

De l’orchestre, on dira qu’il perd beaucoup à n’avoir déplacé que ses cordes. Encore cet instrumentarium, quoique restreint, parvient-il presque à faire illusion lorsqu’il s’agit d’accompagner la voix ; mais à jouer seul il révèle de sérieux souci de justesse qui nous invitent à ne pas commenter plus avant ses exécutions des Ouvertures de La Giuditta (Scarlatti) et d’Adriano in Siria (Pergolesi) et des Concerti RV 277 et RV 212 de Vivaldi.

Rideau de baroques chinoiseries découvrant jupe noire dessus un genou rehaussé de talons à lumières : encore fallait-il une nouvelle tenue pour la seconde partie de la soirée ! Endurance et générosité, voilà qui définit Son qual nave in ria procella de Leonardo Leo (Zenobia in Palmira), ouragan que le compositeur a logé dans des aléas intervallaires redoutables que Simone Kermes surmonte « électriquement », pour ainsi dire. Dans l’intimité du clavecin, elle dépose Consola il genitore en exquise délicatesse (L’Olimpiade de Hasse), avant de flamboyer dans Fra cento affanni e centro (Artaserse – toujours Hasse). Ainsi excelle-t-elle dans l’écriture un peu « hachée » comme dans l’extrême legato : cette aria lui ménage le succès de ses deux points forts qu’elle fait traverser d’une nuance choisie. Sul mio cor(Adriano in Siria) révèleun grave plus présent qu’attendu.

Imaginez une cantatrice qui soulève d’enthousiasme le public et converse avec lui au moment du bis, en toute simplicité. Imaginez-la s’amuser, rire, danser même – depuis longtemps les metteurs en scène nous y ont habitués à l’opéra, alors pourquoi ne pas s’y adonner également au récital ? –, puis « balancer » les virevoltes d’une aria de Riccardo Broschi (le frère du castrat Farinelli), par exemple ! Imaginez encore qu’à un mélomane réclamant la « Königin der Nacht » (« next time » rétorque-t-elle) soit livré Non, je ne regrette rien – si, si, la chanson de Piaf, vous avez lu ! Warum nicht ? S’il est nécessaire de légitimer une démarche qui nous semble pouvoir aller de soi, pensez à Eileen Farrell mêlant les répertoires, à Régine Crespin enregistrant Claude Bolling, à Angela Denoke, enfin, parcourant magnifiquement la chanson allemande [lire notre chronique du 28 juin 2009], etc. Précisément, nous y voilà : Simone Kermes chante Lili Marleen… dans la couleur improbable des violons, du théorbe et d’un clavecin : irrésistible !

Ce n’est pas sérieux… peut-être ; aussi le quatrième bis recentre-t-il le sujet sur le lamento de Händel, Lascia ch’io pianga (Rinaldo), tout de recueillement. Mais au fait, est-ce bien « sérieux », dites-moi, quatre bis, pour une chanteuse ?... Quatre ? mais non : cinq ! C’est en effet avec cette aria de Giuseppe de Majo qui ouvre son disque que Simone Kermes prend congé. Prochains rendez-vous avec cette artiste d’exception : de nombreux récitals (Berlin, Istanbul, Cologne, etc.), puis I due foscari (Verdi) à Munich en février et la Reine de la nuit (Die Zauberflöte) à Baden Baden (du 23 mars au 7 avril, dirigée par Simon Rattle).

BB